Pierre Buffin a longtemps résisté à l'appel de la Nouvelle-France. Après tout, si le pionnier français des effets visuels ne croyait plus en la force d'attraction de Paris, qui y croirait?

À la fin de 2012, le fondateur de BUF s'est fait à l'idée: tandis que la taille de son studio parisien diminuait à vue d'oeil, il a ouvert un studio à Montréal pour y installer progressivement sa production hollywoodienne.

«Paris n'existe pas [en effets visuels], dit-il en entrevue à La Presse. J'ai beaucoup souffert, j'ai beaucoup résisté. Car chez BUF, on n'a pas de volonté industrielle, mais une volonté artistique. Mais quand votre pays vous pénalise», dit Pierre Buffin, PDG et fondateur de BUF Compagnie, qui a commencé avec Les visiteurs, en 1993, pour ensuite passer aux blockbusters hollywoodiens comme Avatar, Life of Pi et The Dark Knight.

Construire en fonction des projets

Plus d'un an plus tard, ils sont une vingtaine d'employés de BUF Montréal à travailler sur les premiers mandats, tenus confidentiels, dans les locaux du boulevard Saint-Laurent, au centre-ville, depuis novembre dernier.

«Nous commençons petits, dit le PDG de 56 ans. Nous venons ici pour attraper des projets américains, nous voulons construire en fonction des projets. Si un gros projet peut nous faire passer à 150-200 personnes, nous le ferons. Si la politique gouvernementale garde ce système de crédits d'impôt, Montréal deviendra plus gros que Londres en effets visuels, notamment parce que c'est plus proche de l'Amérique du Nord [Hollywood]. Tout le monde y sera dans quelques années.»

L'avenir de BUF, dont le chiffre d'affaires est passé de 29 millions en 2009 à 10 millions en 2013, se joue-t-il à Montréal, où le crédit d'impôt est de 53,8%, comparativement à 20% en France? «Quelque part oui, concède Pierre Buffin. On se rend bien compte que Montréal est bien plus attractif que Paris pour les producteurs à cause des crédits d'impôt et de la proximité [avec Hollywood]. Aujourd'hui, les producteurs vont où il y a des aides [fiscales]. C'est dommage que notre chiffre d'affaires dépende de notre lieu géographique plutôt que de la qualité de notre travail, mais c'en est ainsi.»

«Pas de fanfare»

Au contraire de sa compatriote Technicolor/MPC ou des cousins britanniques Framestore et Cinesite, BUF n'a pas demandé de prêt sans intérêt au gouvernement du Québec, ni fait d'annonce en grande pompe en compagnie de la première ministre Pauline Marois. «Ce qui m'importe, c'est de réussir, pas de faire de la fanfare», dit Pierre Buffin.

Cela dit, ne prenez pas sa timidité pour de l'insatisfaction. «Ça fait 30 ans que je suis installé en France, et je n'ai reçu d'autre visite gouvernementale que celle de l'inspecteur des impôts. J'étais à Montréal depuis 15 jours et nous avions déjà été reçus gentiment par un ministre du gouvernement du Québec...»

Pendant ce temps dans la Ville lumière...

Pendant ce temps à Paris, siège social et principal centre de production de BUF, les effectifs sont passés de 400 à 100 employés depuis 2 ans. Un autre studio d'une vingtaine d'employés a été ouvert en Belgique. Le plan de l'entreprise est clair: faire les projets européens en Belgique, les projets nord-américains à Montréal, et coordonner le design et le développement à partir de la Ville lumière.

L'aventure outre-mer de BUF inspire toutefois une crainte à son fondateur.

«Nous ne voulons pas perdre l'âme de BUF. Nous faisons des choses que les autres ne font pas, du design des effets visuels. Nous avons fait le tunnel pour passer d'un monde à l'autre dans Avatar, des rêves dans Life of Pi. Dans l'industrie, on dit que quand vous ne savez pas quoi faire, vous appelez BUF», dit Pierre Buffin, qui a mandaté le Français Nicolas Delval, qui a fait ses classes chez BUF à Paris, pour diriger son studio montréalais.

Un pionnier

Cette culture singulière vient certainement un peu du caractère de son fondateur - un architecte de formation qui s'ennuyait à dessiner des immeubles -, mais aussi de son statut de pionnier en France dans les effets visuels en 1984.

«Quand j'ai commencé, les logiciels d'effets n'existaient pas, alors il fallait les développer, dit Pierre Buffin. Nous nous sommes retrouvés isolés des autres, mais c'est à quelque part ce qui fait notre force. Framestore, Industrial Light&Magic, Double Negative, Cinesite, ce sont les mêmes personnes, les mêmes logiciels. Je ne dis pas que nos logiciels sont meilleurs, mais ce sont les nôtres.»