Les apparences sont parfois paradoxales.

Le jour même où la Banque du Canada fait remarquer que la solide croissance du troisième trimestre ne «témoigne pas encore d'un rééquilibrage vers les exportations et les investissements», Statistique Canada nous apprend que le Canada a dégagé son premier surplus en près de deux ans, en octobre.

Il s'agit d'un excédent bien léger, d'à peine 75 millions de dollars sur des échanges de biens de plus de 80 milliards. Mais il fait suite à un redressement des exportations le mois précédent.

En outre, le déficit commercial des États-Unis a fondu pour la première fois en trois mois à hauteur de 40,6 milliards grâce à des exportations records qui témoignent du gain de tonus de l'économie américaine. Les fournisseurs canadiens ne peuvent que s'en réjouir.

Hier, la Banque du Canada a préféré s'inquiéter de la trop faible inflation, dont le taux annuel n'était que de 0,7% en octobre. «Les risques associés aux déséquilibres élevés dans le secteur des ménages n'ont pas changé sensiblement, alors que les risques à la baisse touchant l'inflation semblent plus grands», note le communiqué faisant part de la reconduction du taux directeur à 1%, en place depuis septembre 2010.

Bref, sans l'écrire explicitement, la Banque penche davantage pour une baisse de taux, si elle devait bouger. Cela a pour effet d'affaiblir le huard à court terme, que d'aucuns voient maintenant près des 90 cents américains d'équivalence d'ici quelques mois.

En somme, les autorités monétaires sous la gouverne de Stephen Poloz semblent utiliser la même médecine que lorsqu'elles étaient gouvernées par Mark Carney: elles laissent entrevoir qu'elles pourraient passer à l'action, sans pour autant le faire.

À l'époque de M. Carney, la Banque laissait entendre qu'elle devrait augmenter quelque peu son taux directeur «au fil du temps», de manière à ralentir l'endettement des ménages, qu'elle jugeait dangereux.

Un tel propos contenait la baisse des taux obligataires et hypothécaires impulsée par les marchés tout en soutenant le dollar canadien, au grand dam des exportateurs manufacturiers.

Autres temps, autre gouverneur, autres moeurs.

En laissant entendre que la trop faible inflation puisse à terme entraîner une baisse de son taux directeur, M. Poloz et compagnie contribuent à l'affaiblissement du huard. Cela doit entraîner, en principe du moins, une hausse des prix des biens importés et une compétitivité accrue des fabricants canadiens.

Ça risque toutefois de n'être pas si simple.

La faible inflation actuelle ne résulte pas d'une forte monnaie. Les prix des aliments baissent sous l'effet de l'abandon de la production américaine d'éthanol qui a entraîné la diminution du prix des céréales. Cela résulte de la production massive de pétrole schisteux qui allège les prix de l'essence.

En plus, l'arrivée de chaînes américaines et les promotions en ligne rapetissent les marges des détaillants.

Pour couronner le tout, les capacités inutilisées de production privent les travailleurs de leur pouvoir d'exiger des salaires plus élevés.

Bref, il y a des éléments inhabituels à la désinflation courante.

En ce qui concerne les exportations, elles requièrent une accélération du rythme de l'expansion américaine et l'accroissement des investissements des entreprises canadiennes pour regagner des parts de marché perdues au profit de la Chine ou du Mexique, de plus en plus concurrentiels.

Si la première condition paraît en place, la seconde tarde à se concrétiser. La valeur des importations de machines, matériel et pièces industriels a reculé de 4,5% en octobre et accuse un retard de 4% par rapport à leur valeur de l'an dernier. Celle des pièces électroniques et électriques importées a aussi reculé en octobre.

Dans ces conditions, et étant donné que la détente monétaire canadienne est déjà considérable, le taux directeur restera fixé à 1% pour encore un an, au bas mot, selon l'écrasante majorité des observateurs.

C'est encore le meilleur moyen de stimuler l'activité économique sans soubresaut.