Pour son dernier passage à Montréal en tant que gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney s'est arrêté à La Presse et nous a accordé une entrevue.

Q De par votre influence et votre succès, on vous a parfois comparé à Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine. La comparaison tient-elle ?

R Il y a des gens qui croient toujours aux marchés, mais qui ne reconnaissent pas l'infrastructure des marchés. Les marchés peuvent avoir des déséquilibres d'euphorie et de désespoir. Si on est un praticien, on sait qu'il y a des déséquilibres. La politique monétaire ne devrait pas augmenter l'amplitude de ces mouvements.

Il faut travailler avec les autres superviseurs financiers comme le ministère des Finances ou le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) pour s'assurer que l'infrastructure des marchés est saine. Dans l'infrastructure, il y a, par exemple, les chambres de compensation, les prises en pension, les produits dérivés. Nous avons dû travailler très fort pour régler la crise du papier commercial adossé à des actifs (PCAA). Les marchés existent, mais il faut réfléchir à la qualité des infrastructures.

Q La Banque du Canada semble menottée. D'une part, le taux d'inflation est bien faible, ce qui milite pour une baisse du taux directeur. D'autre part, le Canada entre dans sa quatrième année d'expansion, ce qui ne justifie pas une politique monétaire exceptionnellement accommodante.

R Nous pouvons agir et nous avons un biais sur le taux directeur (biais haussier) qui agit. Nous observons un commencement de la décélération de l'endettement des ménages canadiens. Maintenant, ce n'est plus que 10 %. En même temps, le ministère des Finances et le BSIF ont aussi agi. Il y a deux ans, 70 % des nouveaux prêts hypothécaires étaient à taux variable. Aujourd'hui, c'est 10 %. La situation est en train de se régler. Nous ne sommes pas coincés. Non.

Q C'est un peu comme si vous aviez préparé le terrain pour votre successeur Stephen Poloz en mettant la politique monétaire au neutre...

R Le conseil de direction de la Banque du Canada a toujours de la marge de manoeuvre pour prendre ses décisions.

Q Statistique Canada a resserré sa mesure de l'indice des prix à la consommation (IPC) en augmentant le panier de biens et services et en tenant compte des réflexes de substitution des consommateurs. Ça devrait entraîner une progression plus lente de l'IPC. Est-ce que ça peut diminuer le besoin de la Banque d'augmenter éventuellement son taux directeur ?

R L'IPC mesure un panier typique des Canadiens, mais il faut toujours le renouveler. On achète plus de téléphones intelligents qu'avant. Ça ne change pas l'objectif de la Banque du Canada qui, en accord avec le gouvernement canadien, vise une cible de croissance de 2 % de l'IPC global mesuré par Statistique Canada.

Q Quelle aura été la chose dont vous êtes le plus fier au cours de votre passage à la Banque du Canada ?

R La Banque du Canada a continué d'apprendre à gérer de manière sophistiquée et transparente le ciblage de l'inflation. Je suis aussi fier de la réponse des institutions canadiennes et québécoises, publiques et privées, pour résoudre certains problèmes, comme les PCAA.

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MARK CARNEY EN VRAC

La Presse : En Angleterre, comment vos quatre filles vont-elles continuer de jouer au hockey ?

Mark Carney : L'explosion du hockey féminin au Canada, c'est extraordinaire. Là-bas, il faudra qu'elles se choisissent un autre sport.

La Presse : Quelle musique écoutez-vous quand vous courez ?

Mark Carney : La course est un bon moment pour réfléchir. En avion, j'écoute Coeur de pirate (grand sourire) et du classique : Corelli, Mozart et Bach. J'aime beaucoup La Passion selon saint Mathieu.

La Presse : Qui va gagner la Coupe Stanley ?

Mark Carney : Je ne veux pas répondre à cette question.

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UNE FEUILLE DE ROUTE BIEN REMPLIE

16 mars 1965

Naissance à Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest. Son père était principal d'école.

1988

Baccalauréat en économique à l'Université Harvard.

1993

Maîtrise en économique à Oxford, suivie par un doctorat en 1995, toujours à Oxford.

Années 90

Divers postes dans les bureaux de Goldman Sachs à Toronto, Londres, Tokyo et New York.

2004

Sous-ministre adjoint du ministre des Finances. À ce titre, il pilote la vente de la part de 19% du gouvernement canadien dans Petro-Canada pour 3,2 milliards.

1er février 2008

Gouverneur de la Banque du Canada.

4 novembre 2011

Président du conseil d'administration du Conseil de stabilité financière, situé à Bâle, en Suisse.

1er juillet 2013

Entrée en fonction comme gouverneur de la Banque d'Angleterre.