Le marché des denrées alimentaires nous offre un beau printemps. La production accrue, la demande en berne et, surtout, la perte d'intérêt des spéculateurs font baisser les prix mondiaux. Un répit, enfin, pour les consommateurs.

Depuis un mois, à deux ou trois exceptions près, les cours des matières premières piquent du nez dans le monde.

Cette glissade est particulièrement brutale pour les denrées alimentaires, incluant le maïs, le blé et le café. Les ressources naturelles destinées à l'industrie, dont le cuivre et le fer, sont également touchées.

Si bien qu'un baromètre des prix des matières premières, l'indice CRB Thomson Reuters Jefferies - composé à 41% d'aliments de base, à 39% de l'énergie et à 3% de métaux -, est en baisse de 9,3% depuis six mois. Dans ce milieu, on parle d'un recul important.

La fièvre qui s'était emparée des marchés agricoles en 2012, faisant flamber les cours à des niveaux records au grand dam des démunis, semble vouloir retomber. Et les pertes se sont accentuées ces derniers temps.

Depuis janvier, les cours du blé à la Bourse de Chicago - le marché de référence pour l'Amérique du Nord - ont reculé de 13%. Ceux du maïs, de 8% et ceux du soja, de près de 6%.

Depuis les pics atteints en 2012, les baisses dépassent les 20% pour la plupart des produits (voir tableau).

Comme le phénomène est récent, on attend encore ses effets dans les épiceries. Il faut plusieurs semaines avant que les fluctuations du marché de gros se répercutent sur les prix de détail. Surtout que d'autres coûts (transformation, distribution et marketing) composent la majeure partie de notre facture, souligne la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation).

Cet organisme note d'ailleurs, dans un rapport publié jeudi, que les prix mondiaux des aliments ont encore légèrement augmenté en mars ("0,8%), conséquence de la sécheresse en Nouvelle-Zélande sur les prix du lait et du printemps très froid qui fait pester tout le monde en Europe.

Il reste que la poussée de l'an dernier s'essouffle et les prix de détail de 55 aliments repères, répertoriés par la FAO, sont en baisse de 1,7% depuis un an. Autrement dit, le vent tourne en faveur des consommateurs.

Récoltes surprenantes

D'emblée, les analystes montrent du doigt l'abondance de l'offre pour le repli des cours des matières premières.

Dans le cas des céréales, les récoltes sont meilleures que prévu aux États-Unis - principal producteur mondial - malgré les alertes météorologiques répétées depuis un an.

À preuve: Washington a surpris tout le monde, jeudi, en annonçant que les stocks de blé dans l'hémisphère nord atteignent 183 millions de tonnes métriques, soit plus que les prévisions (178 millions).

Deuxième explication: beaucoup de cultivateurs ont augmenté leur production pendant que la demande mondiale tend à se tasser sous l'effet de la crise en Europe.

Résultat: le cours du blé, par exemple, est reparti en baisse la semaine dernière, accusant un recul de 27% depuis son sommet de 2012.

«Le marché est maintenant résolument baissier», tranche dans une note financière Terry Reilly, analyste chez Futures International, à Chicago.

Les spéculateurs se retirent

Or, il y a une autre explication pour ce phénomène. Elle ne se trouve pas dans la terre, mais dans les rouages des marchés financiers qui dictent les prix des aliments.

Alors que les indices boursiers multiplient les records à Wall Street, les fonds spéculatifs («hedge funds») se retirent des marchés agricoles, devenus moins attrayants.

Ainsi, l'actif des fonds investis dans les matières agricoles a fondu d'au moins 20%, selon une compilation du Financial Times. Autrement dit, les spéculateurs n'ont plus le même appétit pour le blé, le maïs ou les autres valeurs alimentaires.

La firme britannique Prim Finance abonde, en précisant que l'indice Newedge des fonds de matières premières ne fait rien qui vaille cette année après avoir fondu de 3,7% en 2102 (contre un gain de 14% pour les Bourses internationales). Bref, la bouffe ne titille plus les spéculateurs, qui préfèrent les actions, plus rémunératrices.

Difficile de prédire si la glissade des cours des denrées alimentaires va se poursuivre. Car il ne faut pas grand-chose pour inverser la tendance: une sécheresse en Australie, un déluge en Inde, un vilain insecte qui bouffe les récoltes...

Reste que les marchés agricoles s'assagissent, et les consommateurs peuvent respirer un peu.

La spéculation, les deux tiers du problème

Selon un organisme des Nations unies, la spéculation est la première cause des fluctuations de prix des matières premières, incluant les denrées alimentaires.

Dans une étude parue fin mars, la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) avance que de 60 à 70% des fluctuations des cours des ressources naturelles n'ont rien à voir avec l'offre, la demande, Dame Nature ou les travailleurs en sueur dans les champs. Ce sont surtout «les gars en complet bleu», confortablement assis devant un ordinateur, qui dictent le jeu.

Les auteurs de l'étude, coordonnée par l'École polytechnique de Zurich, se sont basés sur des modèles mathématiques complexes et sur les milliards de transactions enregistrées par Thomson Reuters.

Leur analyse indique que moins du tiers des variations de prix du sucre, du blé, du maïs ou du soja peuvent être expliquées par des évènements liés à l'économie «réelle». Donc, l'abondance ou la rareté n'expliquent pas tout.

Et les mouvements des cours sont amplifiés par les «traders» à haute fréquence, qui spéculent à l'aide d'ordinateurs à des intervalles très courts (mesurés en millisecondes).

Dans le cas du marché pétrolier (Brent de Londres), les résultats sont frappants. La spéculation est le principal moteur qui a propulsé les cours à tous les sommets enregistrés depuis la crise financière 2008.

Variations des cours par rapport à leur sommet sur un an:

Blé: -26,6%

Maïs: -22,6%

Café: -27,1%