L'incapacité des nouveaux élus grecs à former un gouvernement accroît les tensions au sein de l'Eurogroupe et agite de plus en plus les marchés financiers et leurs conseillers.

«Ce qui m'inquiète par-dessus tout, c'est un éventuel éclatement de l'euro, a confié hier par téléphone l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) Alan Greenspan. On soutient l'euro en imprimant de l'argent parce que c'est politiquement plus facile. À court terme, ça ne coûte rien.»

M. Greenspan sera le conférencier-vedette de la 18e Conférence de Montréal, du 11 au 14 juin.

Au cours de son précédent passage à Montréal, il y a quatre ans, peu après la publication de son autobiographie Le temps des turbulences, il avait lancé des mises en garde contre le protectionnisme. Aujourd'hui, il ne le voit plus comme le danger le plus immédiat à l'économie mondiale.

«Comment peut-on maintenir (hold together) l'euro?, s'interroge-t-il. Cette monnaie a été conçue dans les années 90 sur la prémisse qu'on pouvait surmonter des différences culturelles. Les marchés y ont cru. Ils ont pensé que les Italiens pouvaient travailler comme les Allemands. Ça ne s'est pas passé comme cela.»

C'est dans les mêmes pays qu'avant l'euro que l'on trouve encore le plus d'économie souterraine et de commerce illégal, déplore-t-il.

L'économiste, toujours vif, (il a eu 86 ans en mars) se demande comment surmonter l'écart de compétitivité qui n'a cessé de se creuser entre les économies du Nord, comme l'Allemagne et l'Autriche, et celles du Sud, comme la Grèce, le Portugal ou l'Espagne. «Ce problème déchire l'Europe», insiste-t-il.

Combler cet écart exige des liquidités. Les étrangers ont d'abord accepté de financer. Puis, ce fut le tour des pays européens du Nord.

On découvre que l'austérité peut difficilement fonctionner, ce qui soulève la question du financement. «Il n'existe pas d'issue à ce problème, s'inquiète-t-il. On se dirige vers une confrontation majeure.»

Tout le monde serait perdant, advenant un retour aux anciennes monnaies, l'Allemagne comprise. La réintroduction du mark lui accorderait instantanément une prime significative capable d'équilibrer son budget et de réduire sa dette. En contrepartie, ses grands manufacturiers perdraient de grandes parts de leurs marchés extérieurs à cause d'une monnaie trop forte. L'Allemagne est maintenant le deuxième exportateur du monde, derrière la Chine.

«Voilà pourquoi Angela Merkel défend autant l'euro», explique celui qui avait été surnommé maestro jusqu'à l'éclatement de la crise financière qui n'en finit plus de finir.

Il a réitéré hier avoir péché en misant trop sur l'autoréglementation. «J'ai compris qu'on ne peut se fier aux banquiers pour protéger leurs propres capitaux.»

Il se dit donc d'accord avec une réglementation accrue, mais critique la complexité de la loi Dodd-Frank. Sa mise en vigueur exigerait des années dans sa forme actuelle, soutient-il.

À ses yeux, il aurait été préférable de s'en tenir à un court texte d'une dizaine de pages concentré autour des normes de capitalisation. «Il ne peut y avoir de contagion à moins de faire défaut sur sa dette», résume-t-il.

La dette des États-Unis l'inquiète aussi, en particulier les difficultés de la classe politique à contenir sa croissance. Il croit cependant que les États-Unis ne tomberont pas de la falaise fiscale («fiscal cliff») du premier janvier prochain. (Faute d'entente au Congrès l'été dernier, des coupes budgétaires automatiques jumelées à des hausses d'impôt risquent de soustraire trois points de pourcentage au produit intérieur brut et de faire rechuter l'économie américaine en récession comme tant de pays européens qui ont adopté des mesures d'austérité.)

Il croit qu'on finira par s'entendre autour du rapport Bowles-Simpson, présenté en 2010 et qui prévoyait une réduction de 4000 milliards de la dette d'ici 2020. Le rapport a été rejeté parce qu'il prévoyait entre autres l'élimination des baisses temporaires d'impôt adoptées par George W. Bush.

«Les politiciens ne nous pousseront pas en bas de la falaise fiscale, croit M. Greenspan. Ce serait trop dramatique. Ils adopteront quelque chose qui ressemble au rapport Bowles-Simpson.»