Entreprise apprenante, «lean management», tableau de bord, gestion de la relation client, six sigma... ce sont là quelques exemples d'approches de gestion qui ont suscité l'engouement au cours des dernières années. Il y a 20 ans ou 30 ans, c'est la gestion par objectifs, la qualité totale et la réingénierie des processus qui retenaient l'attention des gestionnaires.

Malgré toutes ces innovations, les problèmes demeurent: rappels de produits défectueux, manque d'engagement des employés, clients frustrés d'être mal servis, files d'attente qui s'allongent, budgets déficitaires, etc. On est en droit de se demander si les nouvelles approches de gestion servent vraiment à quelque chose et, sinon, pourquoi on persiste à les adopter.

Pourquoi suit-on la mode?

Depuis une vingtaine d'années, les chercheurs s'intéressent à la succession rapide des nouvelles approches de gestion et voient là un phénomène de mode. Mais alors que les modes vestimentaires ou musicales peuvent sembler superficielles, les modes en gestion ont des conséquences majeures pour les organisations et leurs employés. Pourquoi les gestionnaires, qu'on considère souvent comme des individus rationnels qui prennent des décisions fondées sur l'efficacité et l'efficience, auraient-ils un comportement aussi apparemment irréfléchi que de «suivre la mode» ?

Plusieurs réponses ont été apportées à cette question. D'abord, les nouveaux gestionnaires veulent se différencier de ceux qui les ont précédés et laisser leur marque. Ils ont donc tendance à rejeter les manières de faire précédentes comme étant «dépassées» et à introduire de nouvelles méthodes. En choisissant une approche de gestion qui a été popularisée par les médias d'affaires, les gestionnaires montrent aussi qu'ils sont à la fine pointe des connaissances et ils permettent à leur organisation de bien paraître auprès de ses actionnaires et du public.

Même lorsqu'ils ne cherchent pas à se distinguer, les gestionnaires sont soumis à de multiples pressions et ils ont souvent peu de temps pour faire leurs preuves. Les chefs d'entreprises sont rapidement remplacés s'ils ne parviennent pas apporter rapidement un vent de renouveau à leur organisation. À cette pression s'ajoute le fait qu'il est bien difficile de comparer entre elles les différentes approches de gestion qui sont proposées et de savoir laquelle est la meilleure. Il est donc bien tentant d'imiter les comportements des entreprises à succès: si Motorola, General Electric ou Toyota, dont la réputation n'est plus à faire, ont choisi telle ou telle méthode, pourquoi ne pas faire comme eux?

Plusieurs recherches montrent également que bien des approches de gestion présentées comme «révolutionnaires» sont en fait un recyclage de bons principes de gestion qui sont remixés et présentés sous une nouvelle étiquette. L'apparente nouveauté des méthodes incite toutefois les gestionnaires recourir à des consultants externes pour les aider à implanter le changement, et ce alors qu'on possède souvent de bonnes ressources à l'interne. Ici encore, les recherches font ressortir que le recours aux consultants est souvent motivé non pas par un besoin réel d'expertise externe que par le désir de mieux paraître auprès des différentes parties prenantes de l'organisation.

Peut-on faire autrement?

Ce n'est pas tant le contenu des nouvelles approches qui est en cause que les raisons pour lesquelles on les adopte et la manière dont on procède. Le désir d'être «à la fine pointe» ou la pression à l'innovation sont des motivations bien humaines, mais qui portent en elles le germe de leur propre échec. En cherchant constamment l'excitation de la nouveauté, on oublie que toute méthode de gestion requiert de l'engagement, des efforts constants et, surtout, du temps.

Or, les employés qui ont dû s'adapter à répétition aux nouvelles approches à la mode finissent par s'épuiser et par cesser de croire que la nouvelle méthode va vraiment améliorer les choses. Et ceux qui se font dire comment travailler par des consultants qui en savent souvent moins qu'eux ont moins envie de s'engager. Pire encore, les plus cyniques soulignent que «la nouvelle patente du boss» sera bientôt oubliée et qu'il n'y a qu'à attendre que ça passe...

Est-il possible de résister aux pressions - et à la tentation - de suivre la mode? Peut-être faut-il commencer par sonder nos propres motivations et trouver d'autres façons de bien paraître et de laisser sa marque. Peut-être aussi faut-il remettre en cause la valeur démesurée que nous accordons à la nouveauté et au changement? Enfin, peut-être est-il temps de renoncer aux recettes miracles et de revenir aux principes de bases et à l'effort régulier et constant que demande l'exercice de la gestion.

Hélène Giroux et professeure en gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. Pour la joindre: helene.giroux@hec.ca