Des marchands qui souhaitent des parcomètres devant leurs commerces? L'idée peut sembler saugrenue à Montréal, où ces dispositifs sont considérés comme des repoussoirs à clientèle. C'est pourtant le cas à San Francisco, où les autorités municipales testent un véritable parcomètre de l'avenir. Dans cette ville californienne, le commerce sur rue se porte très bien merci, a constaté notre envoyé spécial, même dans les secteurs où le coût du stationnement a augmenté.

Lorsque Russell Pritchard a ouvert la boutique de meubles antiques Zonal, en 1989, la rue Hayes était un taudis à ciel ouvert. Un tremblement de terre venait d'obliger les autorités à fermer une autoroute surélevée à deux pas de sa porte. À l'ombre de la structure de béton délabrée, le quartier est devenu un épicentre du trafic de drogue et de la prostitution.

Vingt-deux ans plus tard, la rue Hayes est l'une des artères commerciales les plus florissantes de San Francisco. À l'ombre de grands ficus, des boulangeries coquettes côtoient des boutiques d'ameublement tendance. Un magasin propose des centaines de variétés de saké, une autre vend des accessoires de voyage design.

Il y a un an, des dizaines de nouveaux occupants se sont établis le long de la rue Hayes: les parcomètres les plus futuristes jamais testés. Des bornes qui ont été accueillies à bras ouverts par Russell Pritchard, Canadien originaire de Calgary qui dirige l'Association des marchands de Hayes Valley.

«J'ai toujours été très favorable au programme, dit-il derrière le comptoir de son magasin. Autrefois, les marchands et leurs employés se garaient devant nos commerces. Ils prenaient la place de nos clients.»

SF Park, le nom donné à cet ambitieux projet-pilote, vise à utiliser les parcomètres pour réduire la congestion. L'idée est simple: un automobiliste à la recherche d'une place roule lentement, il change souvent de direction et il est facilement distrait. En plus de gaspiller de l'essence, il ralentit les voitures et les autobus derrière lui.

La Ville espère, ni plus ni moins, faire disparaître ce genre d'automobiliste. Et du coup, réduire la congestion tout en stimulant le commerce, rien de moins!

«Il y a une perception dans la région voulant que le stationnement à San Francisco soit difficile à trouver et qu'il coûte cher, dit Jay Primus, directeur de SF Park au San Francisco Metropolitan Transit Authority, l'organisme municipal qui gère les transports. Au fil des ans, plusieurs personnes ont cessé de venir ici pour magasiner et ils sont allés ailleurs.»

SF Park, un projet-pilote de 25 millions, vise justement à changer cette perception. La Ville veut faire en sorte qu'il soit plus facile de trouver une place de stationnement.

Au premier coup d'oeil, les bornes semblent tout à fait banales. On peut y insérer des pièces de monnaie et des cartes de crédit. C'est plutôt par sa manière d'utiliser le stationnement sur rue que San Francisco fait figure de pionnier.

Des tarifs qui changent

Les tarifs sont ajustés d'heure en heure, de tronçon de rue en tronçon de rue. Dans les pâtés de maisons où les places de stationnement sont toujours occupées, les tarifs grimpent. Là où elles sont toujours vides, les tarifs baissent.

L'objectif est de faire en sorte que les automobilistes ne vont pas s'enfoncer dans les rues déjà bondées à la recherche d'une place de stationnement. On joue sur les tarifs pour les attirer vers les secteurs où il y a des places vacantes.

Dans un monde idéal, les autorités souhaitent créer un équilibre parfait entre l'offre et la demande: les places seraient presque toutes occupées, mais il y aurait toujours une place libre pour les nouveaux arrivants.

«Si le prix est ajusté pour faire en sorte que les places de stationnement sont presque toutes occupées, disons à 90%, alors personne ne viendra dire que les parcomètres repoussent la clientèle», explique Donald Shoup, un professeur à l'Université de la Californie à Los Angeles (UCLA), dont les recherches ont inspiré le programme SF Park.

Pour rendre le système plus efficace, SF Park a disposé des capteurs sur des centaines de parcomètres. L'information est relayée à une centrale, et diffusée sur l'internet. En un clic, on peut savoir en temps réel où se trouvent les places de stationnement vacantes, et combien il coûte de s'y garer.

On a également mis au point une application iPhone qui peut être utilisée en voiture. Une application semblable sur les téléphones Android sera disponible sous peu.

«Nous diffusons l'information au sujet du stationnement directement sur un appareil portable, explique le maire de San Francisco, Edwin Lee. Au lieu de sortir à l'aveuglette et d'espérer trouver une place, il est maintenant possible de planifier, et de choisir en fonction du prix.»

Des commerçants heureux

Même si les tarifs ont grimpé dans certains secteurs, SF Park n'a pas nui aux marchands de la rue Fillmore, une coquette artère bordée d'arbres, où l'on trouve des dizaines de commerces huppés.

La boutique Clary Sage est en plein le genre de commerce qu'on s'attend à trouver à San Francisco. On y vend des vêtements confectionnés localement, des produits biologiques et des cosmétiques sans produits chimiques. Une bonne part de la clientèle vient de l'extérieur de la ville pour magasiner ici, affirme la gérante Erica Johanson.

«Parfois, nos clients ont l'air un peu confus en voyant les nouveaux parcomètres, dit-elle, mais personne ne s'en est plaint.»

Rue Hayes, il en coûte environ 2$ l'heure pour se garer devant la boutique de Russell Pritchard. Les tarifs augmentent à près de 4$ l'heure une fois les bureaux fermés, lorsque les clients affluent dans les commerces.

La hausse des tarifs de parcomètres est rarement saluée par les marchands. À San Francisco comme à Montréal, ils doivent composer avec la concurrence des centres commerciaux de la banlieue, qui offrent une abondance de stationnement gratuit.

Mais Russell Pritchard, lui, s'en accommode plutôt bien. Tellement, en fait, que le propriétaire de la boutique Zonal tente de convaincre les autorités d'étendre les heures de stationnement payant au dimanche, une journée qui est actuellement gratuite.

«N'importe quelle mesure qui crée du mouvement et qui fait en sorte que des places se libèrent pour notre clientèle, c'est une bonne mesure pour nous», dit-il.

Partout en Amérique du Nord, les marchands des villes subissent une rude concurrence des banlieues, où les centres commerciaux proposent une abondance de stationnement. Mais Rachel Weinberger, professeure de planification urbaine à l'Université de Pennsylvanie, estime que les villes perdraient leur temps en baissant les tarifs des parcomètres. Elles devraient plutôt mettre en valeur la variété des commerces et le plaisir de se trouver en ville pour attirer les consommateurs dans les boutiques.

«Les villes ne peuvent concurrencer les banlieues sur le terrain des banlieues», résume-t-elle.

Subventions

Les marchands de San Francisco ne sont pas les seuls à s'intéresser aux nouveaux parcomètres. Le département américain du Transport a versé une subvention de 20 millions à la Ville pour l'aider à mettre SF Park sur pied.

Si le programme s'avère un succès, le Ministère espère que d'autres villes américaines l'implanteront chez elle.