Mille millions de mille sabords! aimait tonner le capitaine Haddock. S'il regardait ces jours-ci l'économie mondiale, il s'écrirait plutôt: Mille milliards de mille dollars! tant il y a de billets verts en circulation.

Avec le nouveau plafond de la dette autorisée de Washington, on sera rendus à 16 500 milliards au début de 2013, à plus de 20 000 milliards (20 000 000 000 000$) avant la fin de la décennie, soit l'équivalent du tiers du produit intérieur brut mondial.

Selon l'adage qui veut qu'un individu a un problème quand il doit 20 000 dollars à la banque, mais que le problème bascule du côté de la banque quand il en doit 20 millions, ce sont tous les pays du monde qui sont en train d'écoper du gâchis de la dette américaine que les États-Unis, de surcroît, n'ont aucune intention de rembourser.

«PIIGS are US: les «cochons»», les États incapables de maîtriser leurs finances publiques au point de bidouiller leurs comptes, ce ne sont pas le Portugal, l'Italie, l'Irlande, la Grèce, l'Espagne: ce sont d'abord les États-Unis de 2011», affirme sans ambages Édouard Tétreau au tout début de son pamphlet indigné, Quand le dollar nous tue.

Il blâme autant l'incurie des membres du Congrès qui creuse chaque jour la dette de quatre milliards que celle de la Réserve fédérale américaine qui en est désormais le principal détenteur, devant la Chine et le Japon, et qui imprime les billets verts ad nauseam pour l'acheter.

À force d'actionner la planche à billets sans contrepartie réelle, la Fed génère de l'inflation, un peu comme l'Allemagne des années 1920 ou le Zimbabwe des années 2000. À cette différence près: elle peut l'exporter puisque les prix de tous les produits de base sont exprimés en dollars (à l'exception de l'huile de palme libellée en ringgit malais et de la laine, en dollars australiens, précise l'auteur).

Voilà pourquoi, la marche des prix dépasse les 2% en Europe, les 4% en Chine, les 7% en Russie et en Inde et les 10% pour plusieurs denrées, ce qui crée énormément de révoltes populaires, comme en Égypte, en Tunisie ou en Syrie.

«Si le dollar était uniquement la monnaie des États-Unis, cette création monétaire et ces déficits se seraient soldés par une hyperinflation aux États-Unis, affirme l'auteur. Mais le dollar étant la monnaie du monde, c'est l'inverse qui est en train de se produire.»

Cela dit, les États-Unis jouent sur deux tableaux à la fois: ils affaiblissent délibérément leur monnaie pour stimuler leurs exportations et pour éroder le poids de leur endettement.

Le principal créancier étranger des États-Unis, la Chine, n'est pas dupe. Dans son plan quinquennal actuel, elle décrète une augmentation de la demande intérieure afin de moins dépendre de ses exportations vers son lourd débiteur. Avec ses dollars qui se déprécient en douce, elle achète des terres en Afrique et en Asie centrale, des mines en Australie et au Canada, des gisements de pétrole au Venezuela.

Devant ce dangereux duel, Tétreau propose la délocalisation de certaines grandes institutions internationales plus ou moins à la solde de Washington ou de Wall Street (le FMI, la Banque mondiale), l'encadrement des fonds spéculatifs et de leurs places de négociations (New York, Londres et Chicago), des prix de biens de base libellés selon un panier de monnaies et un protectionnisme compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du Commerce.

En inondant l'économie mondiale de dollars, soutient-il, les États-Unis pratiquent une forme de dumping que la Chine reproduit en indexant sa monnaie, le renminbi, au billet vert.

Il faudra donc à terme trouver une autre valeur refuge que le dollar dont la quantité s'est multipliée par 21, soit sept fois plus vite que la croissance américaine, depuis l'abandon de sa convertibilité avec l'or, en 1971. Richard Nixon avait pris cette décision unilatérale en 1971 pour diminuer les coûts de la guerre du Vietnam.

Depuis, le monde a connu 124 crises bancaires, 205 crises de crédit et 63 crises d'États souverains.

Et ce n'est pas fini!