Les entrepreneurs qui se lancent en affaires dans le seul espoir de devenir millionnaires en vendant leur entreprise le plus vite possible sont en train de créer une nouvelle bulle technologique.

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C'est le pavé qu'a lancé dans la mare hier Chris Shipley, analyste américaine du monde des entreprises en démarrage qui a cofondé Guidewire Group, firme de logiciels destinés aux jeunes entrepreneurs.

Invitée dans le cadre de l'International Startup Festival, la première grand-messe internationale de l'entrepreneuriat techno à être organisée à Montréal, Mme Shipley a ébranlé son auditoire en remettant en question la «mythologie» entourant les start-up (entreprises en démarrage).

Selon elle, de nombreux jeunes qui se lancent aujourd'hui en affaires sont tellement obsédés par l'idée de vendre leur boîte à Google ou Facebook qu'ils n'ont même plus en tête de bâtir une entreprise durable.

«Si vous êtes en train de regarder la porte de sortie, vous n'êtes pas en train de construire votre entreprise», a-t-elle lancé au millier de jeunes entrepreneurs inscrits à l'événement.

La philosophie venue de la Silicon Valley, qui donne le conseil «si vous échouez, échouez rapidement», est aussi en train de miner la persévérance des entrepreneurs et leur capacité de bâtir une entreprise brique par brique, plaide Mme Shipley.

«J'ai vingt-quatre ans, et si je n'ai pas bâti mon entreprise avant d'avoir vingt-quatre ans et demi, je suis un perdant total», a-t-elle caricaturé.

Selon elle, la situation est en train de conduire à la quatrième bulle technologique depuis les années 80, après celles liées à l'intelligence artificielle, au développement des interfaces ordinateur-crayon (dont seule l'entreprise Palm a survécu) et à la fameuse bulle internet.

La bulle actuelle serait alimentée par le fait qu'il est aujourd'hui possible de lancer une entreprise et créer des produits de son sous-sol, armé d'un seul portable.

«Je crois profondément à la force de l'entrepreneuriat pour créer de la valeur, a précisé Mme Shipley à La Presse Affaires. Mais il faut créer des entreprises pour répondre à des besoins. Pas créer des entreprises pour créer des entreprises.»

Contrairement à la bulle internet, la bulle des entreprises en démarrage risque de faire peu de dommages lorsqu'elle éclatera. Les investisseurs deviendront plus frileux, les entrepreneurs perdront leurs illusions.

«C'est une bulle assez sûre, ce n'est pas une bulle économique», précise Mme Shipley.

Ascenseurs et grands-mamans

L'International Startup Festival, qui a démarré mercredi soir et se poursuit jusqu'à demain, fait alterner conférences, concerts et party dans une atmosphère festive. Selon les organisateurs, plus de la moitié des 1100 participants inscrits proviennent de l'extérieur du Québec, dont 25% de l'extérieur du Canada.

L'humour y est bien présent. En clin d'oeil aux «présentations d'ascenseur», ces discours express que doivent livrer les entrepreneurs pour séduire les investisseurs, on a installé des sièges de cuir dans un vrai ascenseur. Des investisseurs y prennent place, et les entrepreneurs font la file pour avoir la chance de les convaincre le temps d'un aller-retour.

La Presse Affaires a accompagné Katheline Jean-Pierre au cours de l'une de ses rencontres éclair. La jeune femme a fondé Kido Media, une boîte qui développe des jeux sociaux pour les 0 à 6 ans.

«C'est simple: on veut être les Angry Birds des enfants», a-t-elle dit pour conclure une présentation débitée à toute vitesse devant Jacques Simoneau, d'Entrepia, et Philippe Décary, de Blakes. Durée de l'exercice: 26 secondes.

Autre aspect amusant: les organisateurs ont dispersé une demi-douzaine de «grands-mamans» dans l'assistance qui sont chargées d'évaluer les présentations des entrepreneurs. But de la chose: obliger ceux qui lancent des entreprises à adapter leur discours pour qu'ils puissent rejoindre non seulement les férus de techno, mais aussi le grand public.

«Certains réussissent mieux que d'autres», a confié avec un sourire Sonia Hazan, l'une des grands-mamans en question.

Piloté par Philippe Telio, qui court d'un côté à l'autre pour s'assurer que tout roule, l'International Startup Festival vise à mettre la métropole québécoise sur la carte des entrepreneurs technos et des investisseurs. Une mission qui progresse bien, s'il faut en croire l'analyste américaine Chris Shipley.

«J'observe toutes ces communautés qui tentent de devenir des centres d'innovation et je dois dire que Montréal croît très rapidement. La communauté est forte, vous avez vos héros locaux qui ont réussi et qui génèrent de l'intérêt. À l'échelle locale, mais même internationale, Montréal devient un point de référence», a-t-elle dit... assurant que cette fois, il ne s'agit pas d'une bulle.

«Il y de vraies entreprises et du vrai talent à Montréal», dit-elle.