La convergence a atteint son apogée au petit écran. Si bien que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) réexaminera sa réglementation du petit écran afin de l'adapter en conséquence lors d'audiences publiques qui commencent lundi.

Déjà implantée depuis des années dans la Belle Province avec Quebecor, la convergence s'est étendue au Canada anglais depuis un an et demi avec les acquisitions des réseaux de télé de CTVglobemedia par Bell et de Global par Shaw. Rogers possédait déjà des réseaux de télé. Ensemble, les quatre conglomérats intégrés du petit écran génèrent 67% des revenus des diffuseurs privés et comptent, comme distributeurs, 79% des abonnés au câble ou à la télé satellite.

« Maintenant que l'intégration verticale est réalisée, il faut des règles pour baliser le comportement des entreprises intégrées », dit l'ancien vice-président du CRTC, Michel Arpin, professeur invité à l'Université de Montréal depuis son départ de l'organisme fédéral en août dernier.

L'organisme réglementaire, qui entendra les intervenants du petit écran au cours des deux prochaines semaines, ne rendra sa décision qu'au début de l'automne. Sauf que trois des quatre conglomérats intégrés ne sont guère enchantés par la possibilité d'obéir à de nouvelles règles. Seul Rogers, le plus petit des quatre, appuie une nouvelle réglementation pour limiter les pouvoirs des conglomérats intégrés face à leurs concurrents.

« Quand Vidéotron a acheté TVA et Rogers CityTV, il n'y a pas eu de réglementation additionnelle, dit Mirko Bibic, chef des affaires réglementaires de Bell. Pourquoi maintenant? Parce que Shaw a acheté Global et que nous avons acheté CTVglobemedia? Nous n'avons pas besoin de réglementation additionnelle car les distributeurs veulent du contenu et les diffuseurs veulent être distribués.»

Michel Arpin s'attendait à une telle opposition des entreprises intégrées. « Certains vont dire que les règles du jeu auraient dû être connues avant qu'ils aient fait leurs acquisitions, mais on doit quand même avoir le débat sur la convergence », dit l'ancien numéro deux du CRTC.

Les concurrents indépendants ne manquent pas de suggestions pour améliorer la réglementation. Leur recommandation la plus importante : obliger les conglomérats à offrir leurs chaînes aux mêmes conditions et au même prix à tous les distributeurs. L'idée est appuyée à la fois par TELUS, Cogeco, Radio-Canada et Astral. Aux fins de vérification, le CRTC aurait accès confidentiellement à tous les contrats de distribution, ce qui n'est pas le cas actuellement. « Il y a plus d'une façon de refuser d'offrir une chaîne, notamment en l'offrant à des conditions déraisonnables », dit Ann Mainville-Neeson, directrice de la réglementation de la radiodiffusion de TELUS.

En plus de s'opposer à l'idée par principe, Bell voit mal comment la mettre en pratique. « Le prix de la redevance est souvent déterminé en fonction du nombre d'abonnés d'un distributeur, et tous les distributeurs n'ont pas le même nombre d'abonnés », dit Mirko Bibic, de Bell.

Exclusivité des contenus

L'exclusivité des contenus constitue l'autre nerf de la guerre réglementaire qui se déroulera dans la salle d'audience du CRTC à Gatineau. Les indépendants redoutent que les conglomérats gardent leurs émissions et leurs chaînes les plus intéressantes pour eux, particulièrement pour la distribution sur téléphone portable et sur le web.

« Si on permet l'exclusivité des contenus, Bell pourrait miser que les consommateurs viendront à eux de toute façon en raison de leurs exclusivités et n'aurait pas à investir dans leur technologie. Bell pourrait agir comme un monopole », dit Ann Mainville-Neeson, directrice de la réglementation de la radiodiffusion de TELUS.

Bell et Shaw se disent contre l'exclusivité des contenus, mais les deux plus importants conglomérats télévisuels au pays s'opposent à une nouvelle règle interdisant l'exclusivité. « Ce n'est pas comme s'il y avait un vide réglementaire », dit Mirko Bibic, chef des affaires réglementaires de Bell.

Bell dit avoir offert sans succès ses chaînes de télé, dont RDS, à tous les distributeurs pour leurs plateformes portables. La saison dernière, les matchs du Canadien étaient accessibles sur téléphone portable chez Vidéotron. « Nous avons offert le même contenu mobile à tous nos concurrents, dit Mirko Bibic, de Bell. Je ne dis pas que Bell ne se garderait pas du contenu exclusif à valeur ajoutée comme des entrevues de vestiaire après les matchs du Canadien, mais les matchs seraient accessibles à tous. On fait plus d'argent de cette façon. »

Quebecor, qui a déjà contesté devant le CRTC des contrats d'exclusivité comme ceux des matchs du Canadien de Montréal à RDS, s'oppose fermement à toute entrave à l'exclusivité des contenus. Selon le mémoire soumis par Quebecor, de nouvelles règles limitant l'exclusivité seraient « complètement inutiles » puisque la décision de partager des contenus avec des concurrents doit être prise « uniquement en fonction d'impératifs commerciaux ».

Sur la question de l'exclusivité, Radio-Canada coupe la poire en deux : non pour les conglomérats intégrés, oui pour les autres. « C'est dangereux de permettre aux entreprises intégrées d'avoir des exclusivités, mais elles ne posent pas problème pour les indépendants, dit Steven Guiton, vice-président des affaires réglementaires de Radio-Canada. Par exemple, une exclusivité sur le site TOU.TV est gratuite et accessible à tous, comme c'est le cas pour une émission à la télé de Radio-Canada. »