Pas la peine de créer de nouveaux médicaments si les patients n'y ont pas accès, affirme le grand patron de la multinationale française Sanofi (SNY), Chris Viehbacher, qui invite Québec à réviser les critères de remboursement des produits de pointe.

En entrevue à La Presse Affaires en marge de la Conférence de Montréal, hier, le directeur général de la cinquième société pharmaceutique du monde a souligné les incohérences du système de santé canadien, qui permet à chaque province de décider de rembourser ou pas des médicaments qui sont approuvés par le gouvernement fédéral.

«On ne peut pas dire qu'il y a transparence, a indiqué M. Viehbacher, originaire de Colborne, en Ontario. Je pense que les patients sont en difficulté parce que des experts peuvent dire qu'un médicament est important dans une province, qu'il a été approuvé par le gouvernement fédéral, mais qu'au Québec, il n'est pas offert. Il faut avoir une prévisibilité dans le système, une transparence, parce qu'on va investir pendant des années et des années.»

Au Québec, des patients atteints du cancer réclament depuis plusieurs mois des changements dans la politique de remboursement des médicaments de pointe. Depuis, en fait, que Québec a intégré le défunt Conseil du médicament à l'Institut national d'excellence en santé et services sociaux (INESSS) en 2009.

Cet organisme est chargé d'analyser les nouveaux produits qui sont approuvés par Santé Canada, puis de recommander au gouvernement de les intégrer à la couverture de l'assurance médicaments. La Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) modifie par la suite la couverture en conséquence.

Or, le nouvel organisme a été critiqué pour sa réserve à l'égard des nouveaux produits. Des 10 derniers médicaments contre le cancer approuvés par Santé Canada, il n'en a retenu qu'un seul pour l'intégrer à la liste des produits remboursés par la RAMQ. La situation ne frustre pas que les patients, elle indispose aussi les entreprises qui investissent des millions pour créer de nouveaux médicaments. Des entreprises comme Sanofi, qui compte 100 000 collaborateurs répartis dans 100 pays.

«Il faut avoir une vraie réflexion sur les critères de remboursement des médicaments, estime Chris Viehbacher. Utiliser des experts, avoir une représentation pour les patients, et faire tout cela dans la transparence. On ne peut pas décider de rembourser un médicament ou pas derrière des portes fermées.»

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a récemment annoncé que les oncologues seraient consultés avant l'approbation des médicaments contre le cancer.

Chris Viehbacher a également joint sa voix à celle de son concurrent Pfizer, qui a récemment réclamé un changement au régime de propriété intellectuelle dans le domaine pharmaceutique. La loi prévoit que les fabricants de médicaments originaux peuvent profiter de l'exclusivité commerciale d'un produit qu'ils créent pour 20 ans. Dans les faits, ce privilège varie de 5 à 10 ans, selon les délais de fabrication et d'approbation.

«Si le Canada veut montrer qu'il est sérieux en matière de recherche, dit-il, il faut absolument avoir une protection des idées.»

»Entre deux eaux»

Même si le système de santé est plus sollicité que jamais, que la population vieillit, l'industrie pharmaceutique traverse une crise. À Montréal, plusieurs entreprises ont été forcées de licencier des employés au cours des derniers mois, notamment Merck qui a fermé un laboratoire. Sanofi n'a pas échappé à la vague.

Elle a dû éliminer 150 emplois au Canada. Elle en compte aujourd'hui 900 au pays, dont plusieurs centaines dans son établissement de Laval, qui comprend un laboratoire de production.

«Nous sommes entre deux eaux, explique Chris Viehbacher. Nous faisons face à la fois à la menace de la réduction du remboursement du coût des médicaments et, en même temps, nous sommes obligés d'investir de plus en plus et de courir plus de risques pour la recherche et développement.»