Lorsqu'il s'agit d'en étudier les pratiques de gestion, le secteur de la santé a ceci de bien particulier: il se caractérise par une forte autonomie professionnelle de ses principaux acteurs, laissant place à beaucoup d'initiatives individuelles, avec pour conséquence un grand niveau d'ambiguïté dans les processus de travail.

Une étude américaine réalisée auprès d'infirmières par Tucker et Edmondson, de la Harvard Business School, a défini un certain nombre de dysfonctionnements qui surviennent de façon récurrente à l'unité de soins, comme l'absence d'informations ou de matériel médical.

Ces problèmes peuvent être la source d'erreurs médicales ou être une entrave à la productivité de ces dernières. L'étude conclut que chaque infirmière perd environ 45 minutes par quart de travail à corriger ces difficultés. Le caractère ponctuel et individuel des mesures correctives produit rarement des effets pérennes.

Ces solutions ont donc un caractère éphémère et le lendemain les mêmes infirmières risquent fort de se heurter aux mêmes problèmes, sans compter que certaines «solutions» occasionneront à leur tour des problèmes en aval faute d'une vision d'ensemble des processus.

Pour résoudre ces problèmes à long terme, on doit nécessairement s'attaquer à leurs causes profondes. Cette démarche s'inscrit en droite ligne avec les pratiques lean issues du secteur industriel. En quelques mots, le lean est un système de gestion qui vise l'élimination des activités sans valeur ajoutée (d'où l'expression lean ou mince, c'est-à-dire sans gaspillage).

Ce système cherche ainsi à améliorer la qualité, réduire les délais et les coûts par une démarche d'amélioration continue en faisant participer les employés. Ainsi, l'un des fondements du lean est l'établissement de normes qui représentent, à un moment donné, la meilleure façon de réaliser une tâche, une activité ou un processus, jusqu'à ce qu'une nouvelle façon plus performante vienne les remplacer. Cet environnement de travail plus normalisé permet de réduire les ambiguïtés quant aux rôles de chacun et, surtout, d'éviter les erreurs.

Le point de départ d'un effort de standardisation est de reconnaître les dysfonctionnements à l'intérieur des processus. Par exemple, depuis quelques années au Québec, les médecins sont tenus de divulguer les incidents et les accidents par l'entremise du formulaire AH 223.

Toutefois, ce formulaire ne doit pas être utilisé comme un outil punitif envers les professionnels, mais bien comme une sonnette d'alarme sur des aspects qui mériteraient d'être améliorés. L'exemple du Virginia Mason Medical Center, à Seattle, est en ce sens éloquent.

Il y a plusieurs années, à la suite de la mort d'une patiente à cause d'une erreur médicale évitable, le dirigeant de cet hôpital a exigé la déclaration de tout incident et a instauré un système pour en faciliter la déclaration et pour en déterminer les causes et les éliminer.

Ce changement de comportement secoue un paradigme séculaire. En effet, le corps médical accepte mal de divulguer ses lacunes, car cela est vu comme une faiblesse et mine la crédibilité du professionnel. On risque de chercher à condamner celui qui est incriminé sans vraiment attendre d'en connaître les circonstances, nuisant ainsi au climat de confiance nécessaire à l'établissement des causes.

Récemment, un centre hospitalier québécois a dévoilé un nombre élevé d'incidents et tout de suite des intervenants ont cherché à le discréditer. Heureusement, d'autres se sont élevés pour défendre cette transparence. Le plus souvent, ces incidents sont causés par des difficultés de système et non par des erreurs individuelles.

D'ailleurs, il y a quelques semaines, le ministre Yves Bolduc a annoncé la mise sur pied d'un Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation de soins de santé et de services sociaux.

Ce dernier a alors déclaré que «le Registre s'inscrit dans la continuité de notre action visant l'amélioration constante de la qualité des services offerts dans le réseau. [...] il nous permettra de mieux cerner les «pourquoi» et les «comment». Nous pourrons par la suite élaborer et mettre en place des mécanismes qui pourront corriger la situation dans un ou plusieurs établissements. Il ne s'agit pas ici de chercher la faute ou un coupable, mais plutôt de trouver ensemble des solutions».

Il faut donc modifier cette attitude négative d'accusation afin de pouvoir encourager le fait d'apprendre de nos erreurs. La sincérité et l'honnêteté de tous les intervenants sont des valeurs qui doivent guider nos institutions.

Dans ce nouveau paradigme, il devient condamnable de cacher l'erreur plutôt que de la mettre en évidence. La mise sur pied du registre est l'occasion de construire une réelle démarche d'amélioration continue qui ne doit pas s'arrêter aux seuls incidents et accidents. Cette démarche doit cibler l'ensemble des processus des organisations de santé et de services sociaux pour faire de nos institutions des organisations apprenantes.

Sylvain Landry est professeur et directeur associé du Pôle santé à HEC Montréal. Serge Dubé est professeur de chirurgie et vice-doyen aux affaires professorales à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Martin Beaulieu est professionnel de recherche au sein du groupe de recherche CHAÎNE à HEC Montréal.