John Essaris, membre d'une des familles les plus prospères de Montréal, fait l'objet d'une plainte au Bureau du surintendant des faillites pour son utilisation présumée abusive de la Loi sur la faillite. La plainte concerne le réseau Café suprême.

Les faits entourant cette affaire se retrouvent dans une requête en injonction déposée la semaine dernière en Cour supérieure, à Montréal. L'homme d'affaires Charles Kanaan et ses frères, qui exploitent des franchises Café suprême, soutiennent que le franchiseur John Essaris a planifié la faillite de l'organisation à l'automne, au détriment des créanciers et des franchisés.

Au départ, les frères Kanaan voulaient provoquer le déclenchement d'une enquête avec leur requête. Vendredi, le tribunal a indiqué qu'il fallait plutôt déposer une plainte directement au Bureau du surintendant des faillites pour ce faire, chose qu'ils feront incessamment, a dit à La Presse Raymond Kanaan. L'enquête du Surintendant, si elle s'avère concluante, pourrait mener à des accusations pénales ou criminelles.

La famille Essaris est l'une des plus prospères de Montréal. John Essaris est le fils de James Essaris. Ce dernier est propriétaire de l'entreprise Stationnement métropolitain, qui gère plus de 24 000 places de stationnement à Montréal. James Essaris a également des intérêts dans l'immobilier (Le Crystal de la Montagne) et dans la restauration (Queue de cheval). James et son fils John gèrent leurs entreprises dans le même immeuble, au 1233, rue de la Montagne, propriété de John.

Les frères Kanaan sont mécontents parce que la fermeture du franchiseur Café suprême, à l'automne, les force à quitter leurs locaux et à ne plus utiliser le nom Café suprême. Au moment du recours à la Loi sur la faillite, à l'automne, leur restaurant de la rue Jean-Talon venait de terminer des rénovations de 138 000$ à la demande du franchiseur. Le contrat de franchise venait d'être renouvellé pour 10 ans.

Selon la requête, John Essaris a incorporé une nouvelle entreprise quelques semaines avant de recourir à la Loi sur la faillite pour Café suprême. Il y a transféré de nombreux petits franchisés avec leurs baux, est-il expliqué. Les contrats de franchise, auxquels sont assorties des redevances, de même que les emplacements constituent l'essentiel de l'actif d'un franchiseur.

La nouvelle bannière de John Essaris, appelée La Prep, exploite le même type de commerce que Café suprême, des bistros, et le franchiseur a les mêmes employés qui occupent les mêmes postes, explique la poursuite.

Selon la requête, John Essaris et ses représentants ont poussé les franchisés Café suprême à signer les documents de transfert vers La Prep en août 2010, quelques jours avant le recours à la faillite du 1er septembre. Une trentaine de franchisés ont refusé.

Le 9 août, le propriétaire immobilier qui loue un local au Café suprême rue Jean-Talon a même reçu une lettre de John Essaris pour l'aviser du transfert du bail de Café suprême vers la nouvelle entreprise La Prep (7576773 Canada inc.).

Le franchiseur Café suprême n'a finalement pas déclaré faillite, les créanciers ayant accepté une proposition de remboursement équivalant à 2% de leur créance, à la veille de Noël. L'entente a été ratifiée par le registraire de la Cour à la fin de janvier 2011, selon le dossier consulté par La Presse au palais de justice.

Le syndic à la proposition concordataire est PSP Boisjoli. Dans son rapport aux créanciers, le syndic ne mentionne nulle part le transfert des baux et des franchises vers une autre entreprise, au mois d'août. Que valent les baux et donc les emplacements des cafés transférés? Combien les créanciers auraient-ils pu toucher de plus? Mystère.

Les réclamations des créanciers s'élevaient à 1,1 million. Parmi eux figure Revenu Canada (100 000$). Comme aucun franchisé n'a de réclamation, aucun ne figure sur la liste et aucun n'a donc eu le droit de vote à la proposition.

Le même avocat pour tous

Autre particularité du dossier: Café suprême et le syndic partagent le même avocat, Neil Oberman, du cabinet Spiegel Sohmer. Cette firme d'avocats représente également la nouvelle entreprise La Prep, de même que la famille Essaris dans ses autres dossiers en cour.

Cette quadruple représentation fait tiquer l'avocat expert en faillite Neil Stein, de même que l'associé responsable des restructurations chez PricewaterhouseCoopers, Christian Bourque. «C'est très inhabituel», disent-ils.

Nous avons demandé à Me Oberman s'il ne craignait pas d'être en conflit d'intérêts, mais il n'a pas voulu faire de commentaires à ce sujet, pas plus que sur le dossier lui-même. Les deux responsables du dossier chez PSP Boisjoli, Herbert Davis et Jerry Devletian, n'ont pas rappelé La Presse.