L'endettement des États, qui s'est accéléré dans les dernières années pour relancer l'économie plombée par les excès du système financier, représente désormais une menace inédite dans l'économie mondialisée.

Ce n'est pas le risque de défaillance de quelques États qui fait peur, car les précédents abondent. «Entre 1800 et 2009, il y a eu 250 défauts sur la dette externe et 68 sur la dette publique», rappelle le prolifique Jacques Attali dans Tous ruinés dans dix ans? Dette publique: la dernière chance. «Seuls le Canada, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taiwan, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont jusqu'à présent réussi à éviter de faire défaut.»

Dans cet essai érudit et ambitieux, l'ancien bras droit de François Mitterrand montre d'abord comment est apparu le concept de dette à travers l'histoire et, surtout, comment on en est venu à admettre qu'elle devait survivre au souverain qui l'avait contractée, parfois pour maintenir son train de vie, souvent pour mener des guerres dont le butin convoité servait à justifier l'emprunt.

C'est curieusement le pauvre qui prête au riche, fait aussi remarquer Attali. «Quand émerge une nouvelle puissance dominante, elle prête aux souverains dominants avant de les remplacer.»

Ce qui nous place devant la donne mondiale actuelle où c'est le Sud qui finance le Nord.

L'essayiste s'attarde ensuite à décortiquer ce qui peut conduire un pays à faire défaut alors qu'un autre pourra honorer ses engagements et les refinancer en toute quiétude. Les critères sont très nombreux: de la richesse patrimoniale de l'Italie ou le fait de détenir une monnaie refuge, comme les États-Unis, qui met les prêteurs en confiance, jusqu'à la tradition démocratique, l'assiette fiscale, l'ouverture à l'immigration, susceptible de les inquiéter ou de les rassurer, et j'en passe.

Ce qu'Attali fait ressortir, c'est l'absence de théorie sur la solvabilité des États, l'incapacité de la science économique d'en isoler les déterminants. «L'histoire montre seulement que les marchés financent aisément des niveaux de dettes beaucoup plus élevés que ceux prévus par toutes les doctrines», écrit-il pour la simple raison que tant prêteurs qu'emprunteurs ont beaucoup à perdre d'une défaillance.

Sauf que l'élastique est très étiré maintenant, prévient Attali, qui s'inquiète que la faible croissance des États du Nord est avant tout tributaire d'un accroissement de leur dette publique depuis plusieurs années.

Sans compter qu'il a fallu renflouer les banques défaillantes en 2008 et 2009, aux États-Unis et dans plusieurs pays européens qui, en prime, se retrouvent aujourd'hui détenteurs de leurs mauvaises créances.

Selon Attali, la dette publique est avant tout le risque que les générations présentes font porter sur les futures. Elle est bonne lorsqu'elle permet d'assurer la croissance à long terme, comme c'est le cas des investissements dans l'éducation, la recherche, les infrastructures ou la sécurité territoriale. Elle est mauvaise lorsqu'elle sert au maintien du train de vie et odieuse lorsqu'il faut faire des emprunts pour assurer le service de la dette. Quand on en est rendu à cette extrémité, un État assujettit sa souveraineté au diktat des marchés.

Attali pousse la réflexion plus loin. Dans l'Occident vieillissant, les dépenses de santé augmentent plus vite que la taille de l'économie, ce qui condamne les États à des déficits budgétaires, à moins d'augmenter le fardeau fiscal ou de réduire les services. «Le déficit et la dette sont donc la marque de la réticence de nos sociétés à accepter l'irrésistible tendance à la socialisation des risques dans une société qui se veut de plus en plus libérale», note-t-il.

S'ensuit un ambitieux projet de réforme de la gestion des finances publiques françaises qui pourrait aussi s'appliquer à d'autres démocraties occidentales, prétend-il.

À l'échelle internationale, il propose une refonte profonde des institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, réclame un sévère resserrement de la réglementation financière, tout en avouant qu'il s'agit là sans doute d'une vision, hélas, utopique.

Jacques ATTALI: Tous ruinés dans dix ans? Dette publique: la dernière chance. Fayard, Paris. 261 pages