L'expérience aura été de courte durée. Moins de 10 ans après s'être implantée au Québec, Corus Entertainment reconnaît son échec et vend ses 11 stations de radio à Cogeco, une transaction qui soulève autant de satisfaction que d'inquiétudes chez les employés du groupe.

Corus avait acheté en 2001 les stations québécoises de Métromédia, incluant CKOI et le 98,5. Mais l'entreprise torontoise n'a jamais été capable de les rentabiliser de façon satisfaisante, en dépit de nombreuses restructurations, a admis hier John Cassaday, président et chef de la direction.

« Malgré les millions investis dans le contenu et les installations, et la diffusion dans différents formats, nous n'avons pas été capables de générer des rendements adéquats pour nos actionnaires », a-t-il indiqué pendant une téléconférence avec des analystes.

Cogeco allongera 80 millions de dollars pour mettre la main sur les stations de Corus. Selon nos informations, aucun autre acteur sérieux ne s'est manifesté. John Cassaday juge cette somme satisfaisante, puisque les actifs cédés ont une valeur comptable d'environ 75 millions.

La transaction devra recevoir le feu vert des autorités avant d'être finalisée, d'ici 6 à 7 mois. Mais de gros écueils se posent déjà, puisque les politiques du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) empêchent une entreprise de posséder plus de deux stations d'une même fréquence et d'une même langue dans un marché donné. Cogeco pourrait devoir céder certaines stations.

Cette éventualité est venue jeter une ombre sur le soulagement des 450 employés de Corus-Québec, pour la plupart heureux de voir leur employeur racheté par une société québécoise. « Tout le monde avait le sourire aux lèvres ce matin, mais on se demande aussi s'il y aura une autre sous-transaction », a indiqué une travailleuse du 98,5 FM sous le couvert de l'anonymat.

« Il y a encore beaucoup d'incertitude malgré l'apparence de bonne nouvelle », a confié une autre employée de la station, installée à la Place Bonaventure.

Claude Hébert, président du syndicat qui représente une centaine d'employés de Corus-Québec, se dit néanmoins heureux de voir des « trippeux » de radio mettre la main sur l'entreprise. Il est aussi confiant de voir le CRTC réviser ses règles de propriété « caduques ».

Chose certaine, un acquéreur potentiel est déjà sur les rangs pour racheter les stations dont Cogeco pourrait être forcé de se départir, a appris La Presse Affaires. RNC Media (Radio-Nord), qui possède plusieurs stations dont CHOI 98,1 à Québec, se montre très intéressé.

« On est attentif à toutes les opportunités qui peuvent se présenter, mais on ne présume de rien car on ne sait pas de quoi sera faite la décision du CRTC », a indiqué Raynald Brière, président et chef de la direction de RNC.

Deux géants

Cette expansion du câblodistributeur Cogeco dans le secteur de la radio entraînera la formation d'un deuxième acteur de taille au Québec, qui viendra talonner le numéro 1 Astral Media.

« Cette transaction nous positionnera pour mieux répondre aux besoins des annonceurs pour ce qui est de l'étendue de notre couverture de marché, de la diversité des publics et du choix des plateformes publicitaires », a indiqué Richard Lachance, vice-président radio de Cogeco.

Louis Audet, président et chef de la direction du groupe spécialisé en câblodistribution, estime de plus que les stations de Corus « s'arriment très bien » avec les cinq déjà détenues par Cogeco, soit le réseau Rythme FM et le 93.3 à Québec. Il croit que les stations présentent un « beau potentiel de croissance ».

Corus Entertainement, pour sa part, prévoit que la vente de ses stations québécoises fera grimper ses marges bénéficiaires, « puisque historiquement, les marges ont radio au Québec ont toujours été inférieures à celles dans le reste du Canada ».

L'écart de profitabilité entre le Québec et le reste du Canada est énorme pour Corus, indique un rapport de l'analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale. Les marges bénéficiaires du groupe dans le secteur de la radiodiffusion étaient de 4,3 % au Québec l'an dernier, contre 33,7 % dans l'Ouest canadien et 29,1 % en Ontario.

Les dirigeants de l'entreprise torontoise se sont lassés de dépenser temps et argent à restructurer une division peu profitable, écrit en somme M. Shine.

L'impact de la vente sera d'autant plus limité pour Corus Entertainement que la division québécoise fonctionnait « pratiquement à 100 % comme une entité distincte », a souligné le grand patron pendant la téléconférence. Il a aussi relevé « la complexité d'avoir à fonctionner dans les deux langues ».

Le titre de Cogeco a grimpé de 3,3 % à la Bourse de Toronto, à 29,64 $. Celui de Corus n'a presque pas bougé (-0,05 %), à 20,45 $.