Alors qu'on n'a même pas traversé un mois d'hiver, les observateurs se perdent en conjectures sur la conduite de la politique monétaire canadienne cet été.

Tous les économistes s'attendent à ce que la Banque du Canada reconduise son taux directeur à son niveau plancher de 0,25%, fixé depuis neuf mois déjà. Ils prévoient aussi que les autorités monétaires réitèrent leur engagement à le maintenir ainsi jusqu'à la fin juin «sous réserve des perspectives concernant l'inflation».

C'est à compter de juillet que les choses se compliquent, comme en font foi les délibérations des 10 membres du Comité de politique monétaire de l'Institut CD Howe de Toronto, formé d'économistes des milieux financiers et universitaires (aucun Québécois n'en fait présentement partie).

Dans six mois, le taux directeur pourrait s'établir à 0,5%, 0,75%, 1%, voire 1,5%, selon cet aréopage.

Les prévisions les plus faibles s'appuient sur un scénario selon lequel la reprise restera modeste à cause des difficultés de l'économie américaine. L'écart de production, c'est-à-dire la différence entre l'expansion réelle et potentielle de l'économie est assez élevé pour écarter toutes pressions inflationnistes pendant plusieurs mois, ce qui peut justifier un faible taux directeur.

Vrai, l'économie prend du mieux comme en font foi les chiffres très reluisants du marché de l'habitation, l'optimisme grandissant des consommateurs et des entreprises et la création de plus de 91 000 emplois depuis août. En revanche, quelques secteurs brillent moins. Vendredi, l'annonce d'un recul de 0,6% des ventes de véhicules neufs en novembre a déçu les experts déjà un peu décontenancés par le déficit commercial pour le même mois annoncé quelques jours plus tôt.

D'autres économistes soutiennent plutôt que les économies américaine et canadienne sont dans un état de santé bien différent même si les variations de leur produit intérieur brut auront été à peu près les mêmes durant la dernière récession.

Chez nous, le chômage a frappé moins fort, le marché de l'habitation, les finances publiques et la demande intérieure sont dans l'ensemble en bien meilleur état. Ce qui vient toutefois brouiller la donne, c'est le commerce extérieur: il a profité davantage aux Américains qu'aux Canadiens.

Prudence

La prudence milite en apparence pour que la Banque du Canada ne bouge pas avant d'avoir l'assurance que l'économie américaine soit vraiment en prompt rétablissement, ce qu'on ne peut déduire des propos récents du président de la Réserve fédérale. Ben S. Bernanke affirme toujours que la première économie du monde est encore confrontée «à de forts vents adverses».

Aux vues des ultra-prudents, la Banque du Canada ne devrait pas bouger avant la Fed afin de ne pas pousser davantage le huard dont la force plombe les exportations. C'est ce que soutiennent notamment Sal Guatieri et Eric Lacelles respectivement économistes chez BMO Marchés des capitaux et TD Valeurs mobilières.

D'autres s'attardent à la demande intérieure qui est stimulée par le redressement du marché du travail. Cela va créer des pressions sur les salaires et fait dire à Yanick Desnoyers, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale: «L'argument de l'écart de production est de moins en moins pertinent, compte tenu que l'emploi dans le secteur des services, qui correspond à 75% de l'économie, vient d'atteindre un nouveau record.»

La grande difficulté dans la conduite de la politique monétaire, c'est qu'elle prend de 12 à 18 mois à cheminer dans l'économie. Si la Banque s'en tient à son engagement de gel jusqu'à la fin juin, elle devra sans doute mettre les bouchées doubles par la suite pour éviter de se laisser devancer par les pressions inflationnistes.

En novembre, l'indice des prix à la consommation avait grimpé de 0,5%, portant le rythme annuel d'inflation à 1,0%. La vitesse de l'indice de référence de la Banque s'établissait quant à lui à 1,5%.

Mercredi, Statistique Canada dévoilera les chiffres de décembre. On s'attend à ce que les deux taux annuels soient à la hausse.

Ils seront alors plus élevés que le scénario d'automne de la Banque.