On n'est pas encore là et on n'y arrivera peut-être pas. Mais les épisodes de déflation sont des périodes étranges où il faut «penser à l'envers» pour comprendre comment tourne l'économie. Retour sur qui perdrait et qui gagnerait si une baisse de prix généralisée et prolongée venait à nous toucher.

Des baisses de prix? À prime-abord, ça peut sembler intéressant. Tout le monde veut payer moins cher pour son essence, sa nourriture ou ses vêtements. Le hic, c'est que si vous savez que les prix vont baisser, vous risquez de reporter plusieurs de vos dépenses importantes. Et si tout le monde fait ça, le risque d'aggraver la récession est bien réel.

 

«C'est d'ailleurs pour ça qu'aux États-Unis, l'immobilier est difficile, illustre Maurice Marchon, professeur d'économie appliquée à HEC Montréal. Tant que les prix baissent, les gens attendent. Parce que pourquoi acheter maintenant à 200 000$ si tu peux acheter dans six mois à 180 000$?»

Une baisse des prix a une autre conséquence. En période d'inflation, les prix augmentent, ce qui fait que l'argent perd graduellement de sa valeur. Quand la déflation s'installe, l'équation est renversée. L'argent prend de la valeur au lieu d'en perdre. C'est généralement une bonne nouvelle pour ceux qui en ont... et une très mauvaise pour ceux qui en doivent.

«Si tu n'es pas endetté, ce n'est pas grave parce que ton pouvoir d'achat augmente. Mais ceux qui sont endettés sont perdants», dit M. Marchon.

En fait, la déflation est souvent considérée comme un transfert d'argent des emprunteurs vers les prêteurs.

Stephen Jarislowsky, président du conseil de Jarislowsky Fraser, craint la déflation comme la peste. Il rappelle qu'alors que la planète nage en pleine récession, bien des consommateurs sont déjà pris à la gorge par les dettes. Voir ces dettes s'alourdir pendant que la maison perd de la valeur ne viendrait qu'empirer les choses.

Sans compter que la déflation ne favorise pas l'investissement.

«Quand il y a de l'inflation, il faut investir parce que sinon, l'argent perd de la valeur. Quand il y a la déflation, c'est le contraire. Les gens n'investissent pas aussi facilement», dit le célèbre investisseur.

M. Jarislowsky craint aussi pour la valeur des actions. Des consommateurs qui attendent pour acheter, ça veut dire des entreprises qui tournent au ralenti. «Les compagnies baissent leurs prix, donc elles font moins d'argent et moins de profits», dit M. Jarislowsky.

«À la limite, les dégâts de l'inflation sont tout aussi graves que ceux de la déflation», dit Maurice Marchon, de HEC Montréal. Sauf qu'il y a une différence fondamentale. L'inflation est généralement plus facile à contrôler: les banques centrales n'ont qu'à augmenter leurs taux directeurs pour calmer les choses.

Le contraire est impossible: quand les taux sont déjà au plancher, on ne peut plus les baisser. «Quand t'es en déflation, que les taux directeurs sont déjà à zéro et que les prix baissent de 10%, la politique monétaire n'a plus de marge de manoeuvre. Il faut alors innover», dit M. Marchon.

Mais l'économiste est optimiste. Selon lui, nous connaîtrons bientôt quelques mois d'inflation négative, mais ce sera surtout parce qu'on comparera les prix du pétrole avec ceux du pic atteint à la même période l'an dernier.

«Avec la façon dont on pompe le système aujourd'hui, les risques de déflation - une baisse absolue et généralisée des prix pendant plusieurs mois - sont quasiment écartés», dit l'économiste.

 

La déflation, un phénomène rare

Le dernier épisode de déflation au Canada est survenu en 1951, alors que l'indice des prix à la consommation avait reculé temporairement de 1,4%. Mais il faut remonter à la Grande Dépression pour trouver une vraie période de déflation prolongée. Entre 1929 et 1933, l'indice des prix à la consommation avait reculé de 24,4% aux États-Unis. Le seul autre épisode important de déflation récent survenu dans un pays industrialisé est celui qui a touché le Japon pendant les années 90.