La brutalité avec laquelle les entreprises sabrent les emplois au Canada a de quoi sidérer: 82 600 en février, tous à temps plein de surcroît, après les 129 000 de janvier. Sinistre doublé inédit.

Le taux de chômage a bondi d'un demi-point à 7,7% le mois dernier, indiquait hier Statistique Canada. Il s'agit de son niveau le plus élevé en six ans. Il y a tout juste un an, il était encore à son creux historique de 5,8%.

 

Ce taux se compare toutefois encore avantageusement avec les 8,1% des États-Unis où de surcroît il faut avoir 16 ans pour être considéré comme chômeur, contre 15 seulement au Canada.

Au surplus chez nos voisins, la population active, c'est-à-dire celle qui détient ou se cherche activement du travail, recule. Statistiquement parlant, cela diminue le nombre de chômeurs. Au Canada, la population active s'est gonflée de 23 100, le mois dernier ce qui fait que le pays comptait 105 000 chômeurs de plus qu'en janvier.

Depuis octobre, dernier mois de création d'emplois, le marché du travail a éliminé 295 000 jobs, soit 1,7% du total. Toutes proportions gardées, la destruction est de même amplitude que celle survenue au sud de la frontière durant la même période. Le rythme actuel des licenciements est cependant au moins deux fois plus rapide qu'au cours des deux récessions de 1981-1982 et de 1990-1991.

«Le marché du travail avait sans doute été exagérément gonflé dans les neuf premiers mois de 2008», signale Benoit P. Durocher, économiste senior chez Desjardins.

La croissance était anémique l'an dernier alors que l'emploi a progressé jusqu'en octobre. On assiste donc à une correction normale qu'amplifie la décroissance de l'économie. «Le marché du travail a maintenant supprimé tous les emplois créés depuis septembre 2007», note M. Durocher.

La récession continuera de mordre au cours des mois à venir d'autant qu'elle est amplifiée par l'effondrement des échanges commerciaux (voir autre texte, page 9). «Grosso modo, nous sommes à mi-chemin des pertes d'emplois, ce qui devrait faire culminer le taux de chômage un peu au-delà de 9%», prédit Douglas Porter, économiste en chef adjoint chez BMO marchés des capitaux.

Mince consolation, c'est beaucoup moins que les taux de 12% et 13% enregistrés d'un océan à l'autre au cours des deux récessions précédentes.

Ontario

Toutes les provinces n'auront pas cette chance. L'Ontario accuse jusqu'ici la moitié des pertes d'emplois canadiennes. Avec les 35 300 jobs disparus en février, son taux de chômage se situe maintenant à 8,7%. Il s'agit d'un bond considérable de 1,5 point en deux mois. «Le taux de chômage ontarien démarre la présente récession à un niveau plus élevé qu'en 1990», note Joëlle Noreau, économiste également chez Desjardins.

Le Québec s'en tire mieux, sans avoir de quoi plastronner: 18 400 pertes d'emplois en février et déjà 44 200 depuis le début de l'année. Le taux de chômage de la société distincte a gagné deux dixièmes à 7,9%. Il serait plus élevé encore si 22 300 personnes n'avaient pas déserté les rangs de la population active depuis le début de l'année. L'écart entre les taux ontarien et québécois est le plus élevé depuis le début de cette série statistique en 1976.

En janvier, les pertes d'emplois étaient avant tout l'histoire du secteur manufacturier qui en avait amputé quelque 100 000 à lui seul grâce surtout à l'arrêt de production du secteur automobile.

En février, 24 700 emplois ont été ajoutés en usine (dont 14 200 au Québec) et 16 700 en agriculture (6000 au Québec).

Cela n'a pas suffi à compenser la saignée de 43 200 emplois dans la construction (la majorité en Ontario), durement touchée par la chute des mises en chantier.

Les pertes généralisées (71 200) dans le secteur des services est beaucoup plus inquiétante. Les services représentent 77% du marché du travail. «Cela signifie que la faiblesse se généralise au Canada, lentement mais sûrement», signale Yanick Desnoyers, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale.

Si la perte de 17 700 postes dans le commerce étonne peu, l'hécatombe de 31 100 dans les services aux entreprises est de fort mauvais augure alors que les quelque 30 000 emplois disparus dans les secteurs de la santé et de l'éducation peuvent sembler une anomalie.

Tous les groupes de travailleurs ne sont pas frappés de la même façon. Chez les hommes de 25 ans et plus, 109 000 ont perdus leur emploi le mois dernier alors que 21 600 femmes de plus en dénichaient un.

Le chômage chez les 15-24 ans atteint maintenant 14,2%. Le bond mensuel de 1,5 point est inquiétant à moins qu'il serve d'incitatif à reprendre les études.