Après des années fastes, le marché des fusions et des acquisitions (F&A) d'entreprises a carrément cassé cet automne.

Après des années fastes, le marché des fusions et des acquisitions (F&A) d'entreprises a carrément cassé cet automne.

Conséquence inévitable de la grave crise financière et du krach boursier, constatent les experts. Mais aussi de la résurgence d'une saine prudence envers la valeur réelle des actifs convoités, surtout en ce début de récession.

L'exemple probant: l'annulation au début décembre de la transaction de 52 milliards de dollars pour le rachat de BCE, la société-mère de Bell Canada, par un groupe dirigé par la caisse de retraite Teachers' de Toronto.

Par sa taille, ce projet de rachat par endettement figurait au palmarès mondial des transactions les plus surveillées cet automne.

Du coup, son annulation a confirmé le net revirement de conjoncture pour les projets de F&A à prix fort. Mais aussi, l'annulation de cette transaction a eu un impact statistique inusité.

Car pour la première fois depuis des années, la valeur totale des transactions de F&A qui ont avorté durant le quatrième trimestre de 2008 a dépassé la valeur des transactions menées à terme durant la même période.

Ce point d'inflexion mondial était d'environ 365 milliards US, selon un relevé préliminaire de l'agence d'information financière Thomson Reuters.

«Le volume d'activité en F&A d'entreprises à capital ouvert (cotées en Bourse) est tombé comme une roche en fin d'année», constate Nicolas Marcoux, principal conseiller en transactions d'entreprises chez PriceWaterhouseCoopers, à Montréal.

Aux États-Unis seulement, le volume d'activité en F&A était en recul de 36% pour les 11 premiers mois de l'année, par rapport à la même période un an plus tôt.

Mais pour le seul mois de novembre, la chute était encore plus brutale: au moins 85% par rapport à novembre 2007, ont indiqué des banquiers d'investissement américains à l'agence Bloomberg.

Canada

Au Canada, l'atrophie du volume d'activité en fusions et acquisitions d'entreprises demeure moins prononcée qu'au sud de la frontière.

La baisse était d'environ 21% pour les trois premiers trimestres de 2008, selon les plus récentes données recueillies par la firme torontoise Crosbie & Co.

En valeur des projets de F&A, toutefois, la chute était déjà considérable, de l'ordre de 68%. Elle est aussi concentrée après la mi-année.

«Le mois de juillet fut très actif, mais il a été suivi des deux pires mois en F&A depuis au moins trois ans», signale Ed Giacomelli, directeur général de Crosbie & Co.

«Les derniers mois de 2008 ont été les pires en F&A depuis longtemps», constate aussi Nicolas Marcoux, de PriceWaterhouseCoopers.

Occasions?

Cela dit, tout n'est pas noir dans le marché des F&A d'entreprises.

Même que, avec la récession, soulignent les experts, ce marché s'est retourné en faveur des chasseurs d'actifs à prix soldés.

«Des transactions ont encore lieu malgré l'ampleur de la crise financière et boursière. En fait, ce revirement de conjoncture pour les F&A a provoqué un bon ajustement des objectifs des acheteurs et des attentes des vendeurs», selon Ed Giacomelli, de Crosbie & Co.

«Pour les entreprises qui ont encore les moyens malgré le resserrement du crédit, il y aura au cours des prochains mois des occasions d'achat de bons actifs. Désormais, la conjoncture favorise les acheteurs, ce qu'on n'a pas vu depuis longtemps», souligne François Tellier, spécialiste des F&A chez Ernst & Young, à Montréal.

Selon lui, les meilleures occasions émergeront surtout parmi trois types d'entreprises: celles dont les résultats sont très plombés par la crise financière malgré la qualité de leurs affaires, celles défiées par la succession de dirigeants-entrepreneurs, et celles dont les résultats résistent le mieux à la mauvaise conjoncture, au point d'attirer des offres alléchantes.

Néanmoins, explique M. Tellier, «plus que jamais, les vendeurs d'entreprise doivent avoir de très bons dossiers pour attirer des acheteurs».

Pour sa part, Nicolas Marcoux de PriceWaterhouseCoopers souligne que les vendeurs d'entreprises doivent s'attendre à des offres moins intéressantes qu'auparavant.

Pour les entreprises cotées en Bourse, le multiple de prix par rapport au bénéfice d'exploitation annuel (BAIIA, avant intérêt, impôt et amortissement) a chuté de moitié par rapport au sommet d'il y a deux ans. Il s'établit maintenant autour de cinq à six fois, contre de 10 à 11 fois il y a quelques trimestres, note M. Marcoux.

Parmi les entreprises à capital fermé, la correction a été moins brutale. De l'ordre de un à deux points, mais aussi aux environs de cinq à six fois le BAIIA annuel.

En contrepartie, pour les acquéreurs d'entreprises, la période du crédit facile pour leurs ambitions de fusions-acquisitions semble révolue pour l'avenir prévisible. Bref, ils doivent y investir plus de capital qu'auparavant.

«Tant que la crise financière ne sera pas résorbée, il faut s'attendre à des transactions dont la valeur sera couverte au moins à moitié en capital, contre 25% à 30% au cours des dernières années», indique François Tellier chez Ernst&Young.

«Mais pour des actifs de qualité, ce sont des transactions qui vaudront la peine pour les entreprises qui en ont les moyens.»