C'est passé Mont-Tremblant, passé Mont-Laurier, passé la réserve faunique de La Vérendrye. C'est à l'autre bout du monde en ce dimanche de tempête de neige.

C'est passé Mont-Tremblant, passé Mont-Laurier, passé la réserve faunique de La Vérendrye. C'est à l'autre bout du monde en ce dimanche de tempête de neige.

Après huit heures de route apparaît Lebel-sur-Quévillon, cette petite ville que la société papetière Domtar a plantée au milieu d'une forêt d'épinettes noires, en 1966.

Au premier coup d'oeil, Lebel-sur-Quévillon ressemble à un centre de villégiature. À la porte de la ville se trouve un golf enneigé. Rue Principale, des motoneigistes circulent à la queue leu leu.

Sur le lac Quévillon, du nom de Louis Quévillon, sculpteur sur bois d'oeuvres sacrées, les petites cabanes des pêcheurs sur glace font tache. C'est la carte postale des grands espaces blancs qui font rêver les Européens.

Et pourtant, Lebel-sur-Quévillon est une zone sinistrée. Les travailleurs de l'usine de pâte de Domtar sont en lock-out depuis 28 mois. L'arrêt de cette usine a entraîné la fermeture de la scierie voisine.

C'est sans parler des 150 travailleurs forestiers qui alimentaient en bois le complexe Domtar. Au total, ce sont plus de 700 emplois qui ont disparu, possiblement pour de bon.

Comme si un malheur n'arrive jamais seul, voilà que la scierie d'AbitibiBowater a temporairement fermé ses portes, en février. Avec cet arrêt de deux mois, 270 travailleurs de plus se retrouvent au chômage.

Même pour Montréal, la perte d'un millier d'emplois serait un coup dur. Imaginez dans un coin isolé qui comptait 3250 habitants avant que certains ne s'exilent en quête de travail, du Tennessee à l'Alberta.

«La réalité n'est pas drôle», résume Gérald Lemoyne, maire de Lebel-sur-Quévillon. Cet ancien opérateur de locomotive de Domtar se démène comme un beau diable pour relancer l'usine de pâte et sauver sa ville.

Le coup est d'autant plus dur que Lebel-sur-Quévillon a longtemps été l'une des municipalités les plus riches du Québec. Avant le lock-out, les 325 employés de l'usine de pâte de Domtar gagnaient en temps régulier 28,56$ de l'heure en moyenne.

Alors que le revenu moyen d'un ménage au Québec se situait à 49 998$ en 2000, à Lebel-sur-Quévillon, il s'élevait à 70 636$, rapporte Statistique Canada. C'est un écart de plus de 40%! Pas étonnant que tous considèrent la retraite à 55 ans comme un dû.

Les Quévillonnais ont toujours mené la belle vie. Amateurs de grand air, ils adorent se promener en forêt, chasser l'orignal ou taquiner le doré.

Rares sont ceux qui n'ont pas une motoneige, un VTT ou un pick-up rutilant dans leur entrée de cour. Rares sont ceux qui ne possèdent pas une chaloupe ou un camp de chasse.

«C'est comme si le village des Gaulois venait de perdre sa potion magique!» note Mario Doucet, directeur général de la mine Langlois, voisine de Lebel-sur-Quévillon.

Ce revers de fortune est apparent place Tonnancourt, un cul-de-sac où presque toutes les maisons sont à vendre. Une mignonne maison jumelée saisie par la banque est offerte à 26 500$, à moitié prix de son évaluation municipale.

«Reprises de finance, transferts, départs: les prix ont baissé énormément», note Louise Paradis, agente en immobilier qui représente 40 vendeurs de Lebel-sur-Quévillon.

Heureusement, Quévillon, comme on la surnomme, n'a pas sombré dans le désespoir. En 1984-85, une grève de 11 mois chez Domtar avait entraîné une vague de suicides.

Plus récemment, en 2000, six gars, des jeunes, des ados et même un garçon de 11 ans, se sont pendus. Un choc terrible.

«Ma plus grande peur, c'était que cela reparte», confie le maire Lemoyne. Or, Lebel-sur-Quévillon ne pleure aucun suicidé depuis deux ans.

Tout n'est pas noir, loin de là. À 45 minutes de Lebel-sur-Quévillon se trouve la mine Langlois, propriété de Breakwater Ressources, de Toronto.

Avec la flambée des prix des métaux, cette mine de zinc et ce cuivre tourne à plein régime, 24 heures par jour, sept jours sur sept. La mine Langlois emploie 430 personnes.

Mais, dès demain matin, elle pourrait embaucher de 70 à 100 travailleurs si elle pouvait dénicher des mineurs, indique Bertrand Boivin, vice-président Canada de Breakwater.

Mais voilà, les mineurs ne courent par les rues. L'entreprise est si désespérée qu'elle a entrepris des démarches pour transférer de Tunisie des mineurs qui travaillaient sur une de ses propriétés épuisées à Bougrine, au nord du pays.

La nouvelle a fait des remous à Lebel-sur-Quévillon, grevée par le chômage. C'est l'étincelle qui a accéléré les démarches pour démarrer un cours professionnel en extraction de minerai. Ce cours a commencé en janvier dans les locaux de la polyvalente La Taïga. Une centaine d'hommes ont posé leur candidature.

Adieu chômage ! raisonne-t-on de Québec ou de Montréal. Il suffit de recycler les victimes de la crise forestière en mineurs!

C'est dans cet esprit que le gouvernement québécois vient de créer, dans son dernier budget, un Institut national des mines doté de 4 millions de dollars.

Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Les entrepreneurs forestiers qui ont investi 600 000 $ dans leur machinerie ne peuvent pas tout plaquer là pour devenir mineur.

Les employés d'usines habitués à la lumière doivent vouloir travailler «en dessous», dans le noir, la poussière et le bruit assourdissant. Puis, il faut embraser un métier physiquement éreintant qui exige une grande polyvalence.

«Ce sont deux mondes», dit Mario Doucet.

Le grand patron de la mine Langlois sait de quoi il parle. Il a bossé comme travailleur forestier pendant une dizaine d'années avant qu'une pelle ronde ne lui tombe dans les mains dans une mine d'or de l'Ontario, voilà 20 ans.

«Je suis tombé en amour avec le métier», raconte-t-il.

C'est la nouvelle vie qui attend les Quévillonnais qui se laissent séduire par l'aventure.

Avant la crise forestière, le revenu moyen d'un ménage de Lebel-sur-Quévillon était de 40 % plus élevé que celui du ménage québécois.