Jack s'a ffiche comme un simple particulier dans Auto Hebdo. Il annonce une Volvo âgée de six ans, avec à peine 86 000 kilomètres.

Jack s'a ffiche comme un simple particulier dans Auto Hebdo. Il annonce une Volvo âgée de six ans, avec à peine 86 000 kilomètres.

«Ma soeur l'a achetée neuve, et moi je l'ai achetée de ma soeur voilà trois ans», raconte-t-il dans le garage de son quadruplex du chemin Côte-Saint-Luc, où un acheteur est venu le rencontrer*.

«C'est la peinture originale, tout est original, monsieur. Jamais accidentée», dit-il. À quand remonte le dernier entretien? «Quatre-vingt mille kilomètres», répond Jack. C'était quand? «Il faudrait que je demande à ma femme.»

Avez-vous les factures des entretiens? «Oui.» Vous pouvez nous les montrer? «Elles sont à mon bureau», se défile Jack. Est-ce que les pneus d'hiver sont encore bons? «Oui.» Peut-on les voir? «Ils sont chez ma bellemère», répond Jack.

L'odomètre a-t-il été changé? «Non», assure Jack. C'est un mensonge. Le véhicule a parcouru au moins 240 000 km. Il a déjà eu 10 propriétaires.

Jack est un habitué des odomètres qui ne tournent pas rond. Il vend des voitures trafiquées, à répétition.

D'ailleurs, dans les rues autour de son quadruplex, plusieurs autres voitures de marques Subaru, Honda et Toyota sont immatriculées au nom d'une compagnie à laquelle il est relié.

Une fraude de 1 milliard

L'ampleur de la falsification d'odomètres est difficile à cerner. Bien des consommateurs floués ne réalisent jamais qu'ils ont été victimes de fraude. Ils pensent qu'ils sont tombés sur un citron.

Robert Cliche, directeur général de l'Association des marchands de véhicules d'occasion du Québec, se fait rassurant. «Le problème n'est pas endémique», dit-il.

Mais aux États-Unis, ce type de fraude dépasse 1 milliard de dollars annuellement, d'après la National Highway Traffic Safety Administration. Quatre cent cinquante mille acheteurs de véhicules d'occasion se font rouler chaque année. Leur perte s'élève à 2300$US en moyenne, selon son enquête menée en 2002.

Et depuis, l'organisme observe une escalade du phénomène, en raison de la demande accrue pour les vieux modèles à faible kilométrage, qui a rendu la falsification d'odomètres encore plus payante.

En plus, les trafiquants ont la vie facile depuis l'avènement des odomètres électroniques. Ils peuvent reprogrammer le kilométrage à l'aide d'un ordinateur portable.

Ils se déplacent de garage en laveauto et offrent leurs services pour quelques centaines de dollars. La manoeuvre prend 20 minutes et ne laisse aucune trace.

Certaines marques très fiables, comme Honda, Toyota, Subaru ou Volvo, trahissent très peu leur âge. Ce sont des cibles parfaites pour les maquilleurs d'odomètres, qui empochent des profits de plusieurs milliers de dollars.

Leur terrain de jeu de prédilection? Les 87 000 véhicules qui arrivent de l'extérieur de la province chaque année, car leur passé se perd à la frontière.

Depuis 2001, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) demande le kilométrage d'un véhicule chaque fois qu'il change de propriétaire au Québec. Ces données restent dans l'historique du véhicule, que les consommateurs peuvent consulter.

Mais la SAAQ n'affiche pas l'historique des véhicules avant leur arrivée au Québec. Les trafiquants en profitent.

L'APA cite le cas d'une camionnette âgéede 10 ans qui avaitàpeine 75 000 km à l'odomètre. Le vendeur prétendait qu'elle avait appartenu à une communauté religieuse en Ontario, qui s'en servait pour amener les enfants à l'église le dimanche! Vérifications faites, le véhicule avait plus de 400 000 kilomètres.

* La Presse a obtenu l'enregistrement de la conversation, qui a eu lieu en 2005. Jack est le nom d'emprunt d'AzizollahMotahedeh. L'acheteur était mandaté par l'APA, qui avait été alertée par un consommateur.