Après presque 13 ans d'attente, le jour de Claude Robinson devant la justice civile est arrivé hier.

Après presque 13 ans d'attente, le jour de Claude Robinson devant la justice civile est arrivé hier.

Le scénariste montréalais qui affirme s'être fait dépouiller de sa série pour enfants Robinson Curiosité, a entrepris de témoigner dans le procès pour plagiat qu'il intente contre Ronald Weinberg, feu Micheline Charest, le scénariste français Christophe Izard, Cinar, France-Animation et neuf autres personnes et firmes.

M. Robinson accuse notamment M. Weinberg et M. Izard d'avoir copié l'oeuvre originale qu'il leur a présentée avec force détails en 1986 et en 1987, puis d'avoir contrefait une version maquillée intitulée Robinson Sucroë, coproduite en 1995 par Cinar et France-Animation, la BBC et Ravesburger, qui sont également intimées.

M. Robinson réclame des dommages non encore précisés qui, si la cour lui donne raison, pourraient se compter en millions de dollars. Il affirme que la série - diffusée dans plus de 120 pays - lui appartient et il en réclame les profits antérieurs et les droits futurs. Durant son introduction de la cause au juge Claude Auclair, l'avocate de M. Robinson, Me Florence Lucas, a notamment demandé à la cour au juge de contraindre les défendeurs à une comptabilisation judiciaire des revenus mondiaux de la série Robinson Sucroë, dans le but d'établir la valeur des dommages et intérêts. La poursuite allègue qu'il y a eu complot et mauvaise foi, et a évoqué d'éventuels dommages exemplaires.

Toutes les parties intimées, y compris M. Izard, qui était dans la salle d'audience hier, nient ces allégations. M. Izard, qui témoignera dans deux semaines, affirme dans sa défense avoir lui-même écrit Robinson Sucroë et affirme ne pas connaître M. Robinson.

Dans sa brève réplique, l'avocat des défendeurs, Me Pierre Lefebvre, a affirmé que le scénario de M. Robinson n'est pas une oeuvre originale, mais rien de plus qu'une parmi les centaines d'oeuvres inspirées par le roman Robinson Crusoë, publié en 1719 par Daniel Defoe. Des oeuvres tellement fréquentes que le mot «robinsonnade» est daté de 1934 dans le Petit Robert.

«C'est M. Izard qui a conçu Robinson Sucroë en 1993», a dit Me Lefebvre, selon qui M. Izard a une longue feuille de route: l'ancien journaliste a signé deux romans policiers (La mort par pitié et La mort avait mis des gants) avant d'écrire des émissions pour enfants, ce qu'il fait depuis 20 ans.

Dès 1974 et jusqu'en 1982, il a écrit L'île aux Enfants, avec son personnage central Casimir, une émission phare qui est l'équivalent, pour les Français, de Bobino et Bobinette ou de Passe-Partout, au Québec. L'émission, à son apogée, a connu des cotes d'écoute de 13 millions et elle a été suivie de plusieurs autres séries pour enfants jusqu'à la création de Robinson Sucroë en 1993, a dit Me Lefebvre.

Il a aussi reçu la Légion d'honneur, ce qui a semblé impressionner Me Lefebvre.

Après les présentations, M. Robinson a commencé son témoignage, celui d'un homme en colère qui attend depuis 13 ans le jour d'aller au fond de l'affaire devant un juge. Ses débuts ont été assez décousus. Cet homme à la mémoire prodigieuse a souvent trébuché dans les détails, multipliant les tangentes et ayant de la difficulté à faire une narration cohérente des évènements.

Mais dès son retour à la barre des témoins, après la pause du midi, il s'est ressaisi. Sous la main ferme de son avocate, il a commencé à monter, pièce par pièce, l'édifice historique de ce qu'il considère comme la fraude commise contre lui.

Essentiellement, M. Robinson affirme que M. Weinberg et sa femme aujourd'hui décédée, Mme Charest, se sont imprégnés de son scénario et de son plan d'affaires quand il les a retenus comme consultants, à la fin de 1985 et en 1986. Ils les avaient chargés de l'aider à intéresser des producteurs américains à son projet de dessin animé. Ils ont ainsi participé à plusieurs présentations, à Disney Channel, à Lexington Broadcasting Services et à d'autres en 1986.

Il affirme aussi avoir présenté en détails son scénario personnellement à M. Izard, lors de la grande foire internationale de la production télévisuelle, le MIP-TV, en 1987.

Cinar: Une ascension fulgurante, une chute dramatique

1984: Établissement à Montréal de Cinar, fondée par Micheline Charest et son mari, Ronald Weinberg.

1987: Début de la production chez Cinar, qui se spécialise dans les dessins animés pour enfants.

1988: Les revenus de cette société de films d'animation de Montréal atteignent quatre millions.

1992: Cinar est une immense réussite. Les revenus atteignent 27 millions.

1993: Cinar est inscrite en Bourse à Toronto et à Montréal. Au nombre de ses succès, on compte notamment The Busy World of Richard Scarry, Madeline, Chris Cross...

1995: Cinar est maintenant inscrite à la Bourse NASDAQ, à New York.

1996: Dépôt d'une poursuite de deux millions d'un créateur, Claude Robinson, qui affirme que Cinar lui a volé son projet d'émission éducative pour enfants, Robinson Curiosité, pour en faire Robinson Sucroé. On n'y prête guère attention, mais la GRC effectue une perquisition dans les locaux de Cinar à Montréal.

1997: Cinar compte maintenant 200 employés et donne du travail à 600 personnes. Cinar produit maintenant Caillou et surtout Arthur, l'émission pour enfants la plus regardée aux États-Unis.

1999: La valeur en Bourse de Cinar atteint à son sommet 1,6 milliard.

15 octobre 1999: À la suite des pressions du Bloc québécois, on apprend que, jusqu'en 1999, la société faisait signer des contrats de prête-noms à de faux auteurs canadiens. Les textes étaient en réalité écrits par des Américains. Le stratagème permettait à Cinar d'obtenir de juteuses subventions de Téléfilm Canada et des crédits d'impôt.

2000: Après une enquête interne, on découvre en plus de nombreuses malversations, notamment l'utilisation d'argent de Cinar pour des travaux chez les Weinberg-Charest, et un mystérieux "investissement" de 122 millions US aux Bahamas. Le numéro trois de Cinar et chef de la direction financière, Hasanain Panju, est congédié le 6 mars. Micheline Charest et Ronald Weinberg sont également écartés peu de temps après. Le titre de Cinar est radié de la Bourse. Des perquisitions de la GRC ont lieu. Une avalanche de poursuites civiles s'abat sur la société et ses dirigeants.

2001: Cinar reconnaît ses torts dans l'affaire des prête-noms et règle avec le fisc canadien et québécois.

2002: L'avocate de la Couronne chargée d'étudier le dossier de police annonce qu'il n'y aura pas d'accusations criminelles contre Micheline Charest et Ronald Weinberg.

Début 2004: des investisseurs torontois rachètent le catalogue de Cinar, qui sera rebaptisé Cookie Jar

14 avril 2004: Micheline Charest meurt dramatiquement à la suite d'une chirurgie esthétique qui a mal tourné.

Février 2008: Cinar s'entend finalement avec Ronald Weinberg dans un règlement tenu confidentiel.

2 septembre 2008: à la suite d'une longue bataille juridique, le procès Cinar-Robinson débute en Cour supérieure.