On croyait que les pays émergents étaient à l'abri de la tempête financière. Erreur! La crise du crédit, l'effondrement du prix des matières premières et le ralentissement économique mondial les rattrapent à toute vapeur.

On croyait que les pays émergents étaient à l'abri de la tempête financière. Erreur! La crise du crédit, l'effondrement du prix des matières premières et le ralentissement économique mondial les rattrapent à toute vapeur.

Leurs Bourses ont fondu de moitié depuis le début de l'année. Les investisseurs ont le moral dans les talons. Même le plan de sauvetage de 700 milliards dévoilé par la Chine cette semaine n'a pas réussi à leur rendre le sourire.

Rien ne va plus au casino Marina Bay Sands de Singapour, paralysé par la peur du risque. Ce ne sont pas les joueurs qui craignent de perdre leur mise, mais plutôt les investisseurs.

La société de Las Vegas qui construit ce gigantesque complexe de 4 milliards US est criblée de dettes et son action s'est écroulée de 95%.

Dans l'incertitude, une cinquantaine de grues restent figées dans le ciel. «Ça démontre vraiment l'impact de la récession et de la baisse de la devise», constate Frédéric Imbeault, gestionnaire de portefeuille pour la firme montréalaise Hexavest, joint par La Presse à Singapour.

C'est un signe indubitable que la crise du crédit a finalement eu raison de l'Asie et des pays émergents, dernier bastion à résister à la déroute financière.

Depuis le début de l'année, l'indice MSCI Marchés émergents a flanché de 48%. Cet indice reflète la performance des Bourses de 25 pays (Argentine, Brésil, Chine, Corée, Égypte, Inde, Indonésie, Mexique, Malaisie, Russie, Thaïlande, etc.)

C'est encore pire pour les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), ces quatre puissances démographiques en plein essor que les stratèges voyaient comme le G7 de l'avenir. Elles ont dégringolé de 56% depuis le début de 2008.

En fait, les Bourses des pays émergents ont tant fondu qu'on pourrait les acheter tout entières avec la valeur boursière d'une seule grande multinationale occidentale.

Ainsi, les actions de la société allemande Volkswagen permettraient d'acheter tous les titres en circulation libre sur les Bourses chinoises et indiennes. «Et il vous resterait encore un peu de monnaie pour acheter la Bourse turque!» blaguait il y a quelques jours Michael Harnett, stratège des marchés émergents de Merrill Lynch.

Le moral dans les talons

Les investisseurs ont le moral dans les talons. «Les gens ici sont surpris de se faire frapper comme ça, alors que la théorie du découplage avait gagné bien des investisseurs», rapporte M. Imbeault, qui a assisté cette semaine à une conférence regroupant un millier d'analystes, de stratèges et de compagnies de la zone Asie-Pacifique.

Plusieurs participants à ce sommet venaient chercher des raisons d'être optimistes. Ils tombent de haut. «Tous les économistes sont négatifs. Je n'ai jamais vu autant de négativisme», lance M. Imbeault.

Cela laisse présager une autre vague de «ventes de feu», au moindre rebond boursier, surtout de la part de fonds spéculatifs (hedge funds) qui semblaient encore relativement confiants. Les voilà moins rassurés.

Même le plan de sauvetage de 700 milliards annoncé par la Chine, au début de la semaine, n'a pas réussi à ramener le sourire aux lèvres des gestionnaires. Oui, il s'agit d'un énorme montant: autant que le plan de sauvetage américain, et pourtant la taille de l'économie chinoise est bien plus petite que celle des États-Unis.

Mais les investisseurs doutent: «Les chiffres qui font la manchette sont peut-être simplement une réédition de programmes qui avaient déjà été annoncés», note Mark Williams, de Capital Economics.

Le découplage est mort et enterré

Mais revenons au découplage, cette théorie qui planait dans la communauté financière depuis le début de la crise du crédit.

La théorie voulait que les pays émergents soient immunisés contre le ralentissement des pays industrialisés, qu'ils continuent sur leur lancée grâce à l'avènement de leur classe moyenne, et que leur essor économique maintienne les prix des ressources naturelles élevés.

Les investisseurs ont maintenant la preuve que les marchés émergents ne sont à l'abri de rien. Le prix des matières premières a chuté de moitié depuis l'été, portant un dur coup au Brésil et à la Russie. De leur côté, les pays asiatiques, qui reposent énormément sur les exportations, sont frappés par la baisse de la demande mondiale.

Ces dernières années, il y a eu un tel transfert de production de toute la planète vers la Chine que le pays pourrait se retrouver avec une dangereuse concentration d'excès de production. «Ce serait très lourd à porter pour un seul pays, et pour toute la région», pense M. Imbeault.

En plus de la Chine, le choc de la baisse de la demande mondiale frappera plus durement Singapour, Hong-Kong, la Malaisie et Taiwan, dont les exportations sont très importantes en proportion de leur économie intérieure, note la firme de courtage Morgan Stanley.

À Singapour, par exemple, les exportations représentent près du double du produit intérieur brut. La ville est un port de mer. En tout temps, une centaine de bateaux attendent au large pour charger ou décharger leur marchandise, raconte M. Imbeault pour illustrer à quel point le pays est ouvert sur le monde.

Mais en montrant le port de Singapour, de la fenêtre de son bureau, un analyste financier lui faisait remarquer que les conteneurs remplis de marchandises n'atteignaient plus que quatre rangs de haut, par rapport à six l'année dernière. Quant à la section des conteneurs vides, elle n'a jamais été si pleine! Un indicateur bien concret du ralentissement de l'activité dans la région.

Les dettes et les devises

À cela s'ajoutent deux facteurs aggravants: l'endettement et la baisse des devises.

Depuis le début des interventions musclées en Occident - le fameux plan de sauvetage de 700 milliards aux États-Unis - le dollar américain, qui s'effritait depuis six ans, a connu une remontée spectaculaire. Du coup, les devises des pays émergents ont glissé. Entre autres, le won coréen a perdu près de 30%.

«Le jeu des devises fait baisser le rendement des étrangers qui avaient investi en Asie. Ils se sont mis à sortir leurs actifs. À cause de l'effet d'entraînement, même les résidents se sont mis à investir à l'étranger», raconte M. Imbeault.

La baisse des devises sera particulièrement dure à encaisser pour la Corée du Sud, la Malaisie et l'Inde, qui avaient emprunté à l'étranger pour financer des projets d'infrastructure. Comme leur monnaie a fondu, leurs prêts en devises étrangères leur coûteront plus cher en intérêts.

En outre, des investisseurs étrangers, eux-mêmes empêtrés dans leurs dettes, sont forcés de rappeler leurs prêts, de rapatrier leurs actifs, d'arrêter abruptement des projets d'envergure... comme celui du casino de Singapour.

Cet exode de capitaux ajoute encore plus de pression sur les devises. Un vrai cercle vicieux.