En 2001, la Chine entrait dans l'Organisation mondiale du commerce. Le choc de son arrivée a été occulté par le traumatisme des attentats terroristes du 11 septembre. Aujourd'hui, force est de constater qu'elle incarne mieux que quiconque tout le bien et le mal d'une économie mondialisée.

En 2001, la Chine entrait dans l'Organisation mondiale du commerce. Le choc de son arrivée a été occulté par le traumatisme des attentats terroristes du 11 septembre. Aujourd'hui, force est de constater qu'elle incarne mieux que quiconque tout le bien et le mal d'une économie mondialisée.

Au printemps, l'économie chinoise a progressé de 10,1%, en rythme annuel. Il s'agissait d'un 10e trimestre d'affilée d'expansion dans les deux chiffres, mais d'un ralentissement par rapport à l'hiver. D'aucuns y ont vu la preuve que la quatrième économie du monde ne pourra résister au marasme de la première, aux prises avec les déboires de son marché de l'habitation et du secteur financier.

«Le gouvernement veut ralentir la croissance à un niveau plus soutenable de 9 à 10%. Mais pas moins, parce qu'il doit soutenir l'emploi, rappelle en entrevue depuis Pékin Roger Heng, directeur général des trois succursales de la Banque de Montréal en Chine. Il a les moyens d'injecter de l'argent dans l'économie puisque ses revenus ont bondi de 36%, l'an dernier.»

En fait, la Chine exporte encore beaucoup, malgré l'essoufflement du consommateur américain. Ses expéditions à l'étranger ont crû de seulement 21,9% durant la première moitié de 2008, contre 25,7% en 2007.

Les fabricants chinois ressentent aussi l'effet de la réévaluation du yuan. Depuis la décision de le laisser flotter à l'intérieur d'une fourchette étroite en juillet 2005, il s'est apprécié de 21% contre le billet vert américain, dont 6% jusqu'ici cette année. (Il faut désormais 6,44 yuans pour acheter un dollar américain.)

Cela permet de ralentir l'inflation provoquée par la poussée des prix de l'énergie, des métaux et des céréales payés en dollars américains. La Chine importe 42% de sa consommation de pétrole.

Cela calme aussi quelque peu la colère des travailleurs licenciés d'Europe et des États-Unis qui maudissent la délocalisation de leurs emplois dans un pays qui maintient artificiellement un taux de change avantageux.

Montée en gamme

En fait, les autorités chinoises souhaitent la montée en gamme de leur production manufacturière, à l'image des modèles japonais et sud-coréen. Moins de vêtements et de jouets et plus de mécanique, d'électronique et de technologies de l'information.

«Les Chinois ne désirent plus être les cols bleus du monde, mais ils amorcent leur virage dans une mauvaise conjecture internationale, observe Zhan Su, directeur du Groupe d'études et de recherche sur l'Asie contemporaine rattaché à l'Université Laval. Le mois dernier, j'étais à Canton et j'ai vu beaucoup de faillites, surtout des entreprises dans la production de masse.»

Cette année, le gouvernement a fait adopter en outre une loi sur les normes minimales de travail qu'il s'efforce de faire appliquer par les autorités locales afin de contenir les tensions sociales. «Ça devient plus difficile pour les employeurs de licencier et les salaires augmentent»", fait valoir M. Heng.

M. Su précise cependant que la productivité augmente aussi très vite en Chine. C'est normal que les salaires suivent.

Le virage manufacturier amorcé par la Chine il y a quatre ans déjà vers la montée en gamme s'accompagne d'un redéploiement des travaux d'infrastructure vers le centre du pays: routes, voies ferrées, aérogares, etc. Cela devrait permettre de maintenir la croissance à 9% et de dégonfler la bulle immobilière qui étouffe Shanghai et Canton, assure M. Heng.

Délocalisation

À terme, la stabilité économique de la Chine doit cependant reposer sur la consommation intérieure. «Mais qu'est-ce qu'ils attendent? s'interroge Jean-Pierre Thiéblot, consultant chez Zins Beauchesne et associés, une boîte d'experts qui accompagnent les entreprises québécoises en Chine. On ne peut pas penser que les tendances actuelles vont continuer avec les coûts de transport et d'énergie.»

Il ajoute que bien des gens trouvent que les Chinois ne sont pas fair-play dans le libre-échange. «Ils sont restés mercantiles.»

Comme pour lui donner raison, l'Economic Policy Institute (EPI) de Washington faisait paraître un brûlot cette semaine. Selon ce groupe de chercheurs de haut niveau et d'allégeance démocrate, l'arrivée de la Chine à l'OMC a coûté 2,3 millions d'emplois aux États-Unis. Les travailleurs déplacés auraient subi en moyenne une baisse de 8146$, l'an dernier seulement. L'EPI met en relief qu'entre 2001 et 2007, le déficit commercial américain envers la Chine est passé de 84 à 262 milliards. Selon Robert Scott, auteur du rapport, «il faut d'abord exiger un changement fondamental des politiques de change et des normes de travail dans l'économie chinoise pour permettre aux travailleurs américains de rivaliser équitablement».

Ce qui inquiète par-dessus tout l'EPI, c'est précisément la montée en gamme des produits chinois qui menacent maintenant des travailleurs qualifiés (ingénieurs, informaticiens, techniciens) dans les usines américaines.

Endettement

C'est oublier un autre aspect des déséquilibres créés par la mondialisation et de l'importance accrue de la Chine sur l'échiquier économique mondial. Les Américains forment la nation la plus endettée du monde alors que la Chine est devenue le premier créancier. Elle détient l'équivalent de 1800 milliards de dollars en réserves étrangères, dont 1000 milliards en titres de dettes américains. «Si le dollar américain se déprécie trop face au yuan, c'est autant de sueur du travail chinois qui disparaît », fait remarquer M. Su.

Voilà pourquoi les autorités chinoises n'hésiteront pas à ralentir la montée du yuan. Dans un ralentissement économique occidental largement attribuable aux abus du système financier américain, la Chine se sent bien légitimée de laisser souffler un peu ses entreprises et ses travailleurs tout en amorçant un virage qui la rendra encore plus redoutable demain.