Cynthia Guay est directrice d'une agence de recrutement du centre-ville, ADECCO. «Les demandes de réceptionnistes, ou d'adjoints administratifs qui accomplissent aussi cette tâche, forment l'un des secteurs les plus actifs de notre bureau», dit-elle.

Cynthia Guay est directrice d'une agence de recrutement du centre-ville, ADECCO. «Les demandes de réceptionnistes, ou d'adjoints administratifs qui accomplissent aussi cette tâche, forment l'un des secteurs les plus actifs de notre bureau», dit-elle.

Dans les années 90, elle a vu les messages d'accueil automatisés déferler avec la force d'un raz-de-marée. «On a cru que la machine allait pouvoir tout faire. On a déchanté. Il y a toujours quelqu'un qui fait le zéro ou qui a besoin de plus d'informations» rappelle-t-elle. Le retour en force de la réceptionniste réjouit Michel Langlois, directeur de Groupe de recherche sur le leadership stratégique et l'expérience client de l'UQAM. «Les boîtes vocales à l'entrée des réseaux téléphoniques des organisations sont une façon de se sortir du marché», affirme-t-il. À l'inverse, il estime qu'une réception à visage et à voix humaines fait partie des atouts majeurs de toute organisation désireuse d'accroître sa compétitivité. «Les réceptionnistes jouent un rôle tellement crucial dans les organisations qu'elles devraient se rapporter au bureau du président», soutient-il.

Au-delà de l'image

Selon une étude belge dévoilée en avril dernier, l'apport des réceptionnistes à leur organisation va bien au-delà de l'image. «Elles sont perçues positivement partout. Les réceptionnistes sont un point de repère central dans de nombreuses organisations et leurs compétences générales d'employé polyvalent sont de plus en plus sollicitées», affirment les chercheurs de la Vlerick Management School.

Les témoignages de cadres de quatre entreprises interrogées par La Presse Affaires voir autre texte vont dans le même sens. Leurs réceptionnistes interrogées par La Presse Affaires sont, de leur côté, très conscientes et fières de leur position névralgique. «J'ai le pouls de la clientèle. Je sais ce qu'elle aime et je calme les plaignants. Je connais les employés modèles et les ronds-de-cuir. Je règle souvent des problèmes que des professionnels laissent traîner. Je m'assure toujours que les appels importants se rendent rapidement à la direction», résume Pierrette, réceptionniste depuis plus de 15 ans dans une compagnie d'assurances. Si certaines réceptionnistes disent être l'objet d'une grande reconnaissance de la part de la direction et de l'ensemble du personnel, nombreuses sont celles qui évoluent dans un tout autre contexte.

Plusieurs déplorent en effet que leurs connaissances soient sousutilisées et leur contribution, sous-estimée. Et elles formulent une plainte identique: elles doivent souvent se transformer en détectives pour obtenir l'information nécessaire à leur fonction.

«Je dois me débrouiller pour connaître les changements de postes, les horaires de vacances, les offres promotionnelles, les nouveaux produits J'ai un réseau d'informateurs, mais ce serait si simple et beaucoup plus efficace si ces informations me parvenaient par les canaux officiels», explique Marie, au bout du fil depuis 11 ans dans une grande entreprise montréalaise.

Sous-payées?

En 2005, selon l'Institut de la statistique du Québec, le salaire annuel moyen des réceptionnistes tournait autour de 28 000$ et 30 000$ et le taux horaire était de 15$. La rémunération horaire annoncée ces jours-ci dans les portails de recherche d'emploi varie entre 9$ et 15$. C'est moins que les données colligées par la Vlerick Management School. Le salaire mensuel brut des réceptionnistes belges oscille entre 1800 et 2100 euros. Sur une base annuelle, cela correspond à une rémunération annuelle de 33 000$ à 38 000 $. Plus qu'ici. Malgré cet écart en leur faveur, 60% des réceptionnistes sondés par la VSM jugent leur traitement trop bas. « Il y a toujours l'idée qu'une réceptionniste ne peut pas coûter trop cher et doit être payée moins qu'une secrétaire. C'est faux, car c'est quelqu'un de multilingue, qui fait plusieurs tâches, qui doit avoir une bonne présentation et qui a pas mal de responsabilités», notent les chercheurs flamands. Dans ce pays, les réceptionnistes doivent parler le français, le néerlandais et l'anglais. Dans la région de Montréal, les recruteurs cherchent des candidats bilingues.

Expérience: aucune?

Le critère d'embauche des réceptionnistes généralement en vigueur au Québec est, selon l'Institut de la statistique du Québec, la possession d'un diplôme d'études secondaires. Aucune expérience n'est requise. Le professeur Michel Langlois se désole qu'une fonction aussi cruciale, et plus généralement les emplois de première ligne, soient confiés à du personnel sans expérience et faiblement rémunéré.

«Un employé qualifié et expérimenté saura mieux qu'un néophyte transformer les demandes d'information en t ransaction. En une seule journée, les 10 ventes à 100$ de plus conclues par un pro du service à la clientèle compenseront largement son salaire plus élevé», illustre-t-il. Selon ce chercheur, les entreprises qui rognent sur les critères de dotation et dans la rémunération de la première ligne font de fausses économies. Au Fonds de solidarité FTQ, il y a eu un «débat» budgétaire sur le maintien de la réception téléphonique personnalisée au début des années 90. Il a été bref, dit Denis Leclerc, vice-président à l'actionnariat. «La satisfaction de la clientèle est impossible à calculer. Ce qu'on sait par contre, c'est que pour se démarquer dans les services financiers, le contact personnel, la confiance et l'écoute active sont très importantes», dit-il. Selon des sondages menés pour le Fonds, 98% des actionnaires aiment le contact avec le personnel de première ligne. «Au bout du compte, on est gagnants», résume-t-il.

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SIÈGE SOCIAL, BONJOUR!

Bombardier, le Cirque du Soleil, le Fonds de solidarité FTQ et Rona. Ces quatre grandes entreprises, régulièrement au palmarès des plus admirées au Québec, font appel à des réceptionnistes pour leur siège social. Toutes ont résisté au raz-de-marée des boîtes vocales à l'accueil dans les années 90. Pour des raisons de coeur peut-être mais surtout parce que la réception humaine est au coeur de leur approche des affaires.

Bombardier: un numéro pour la planète

Peu importe le pays, quiconque compose le 411 pour obtenir le numéro de Bombardier obtiendra le (514) 861-9481. Au bout du fil, il trouvera une dame qui le dirigera au bon endroit, qu'il ait un problème avec un avion ou qu'il soit à la recherche d'un emploi. Joelle, une des deux réceptionnistes permanentes, entend parfois un long silence après son Bombardier bonjour. «Des gens pensent que je suis un message enregistré. Quand ils réalisent qu'ils ont un être humain au bout du fil, ils sont plaisamment surpris», raconte-elle en riant. Un des plus ardents défenseurs de cet accueil personnalisé est Laurent Beaudoin lui-même. Il s'est même opposé à l'installation de boîtes vocales au siège social jusqu'en 2003. «Les réceptionnistes étaient surmenées. Pour faire face au volume croissant, il aurait fallu embaucher une armée», relate Suzanne Bédard, directrice, ressources humaines et gestion des talents.

Cirque du Soleil: un vaste réseau polyglotte

Au 8400, 2e Avenue, à Montréal, des «Cirque du Soleil, bonjour» résonnent à quatre voix, sans arrêt. Les motifs d'appels au numéro général de l'entreprise, le (514) 722-2324, sont extrêmement variés, à l'image des relations d'affaires et des activités de l'entreprise. Les demandes sont de plus très souvent formulées dans d'autres langues que le français ou l'anglais. «Sans être polyglotte, notre équipe d'accueil sait rapidement identifier les langues des interlocuteurs. Elle transfère les demandes à des employés qui les parlent. Ces derniers les acheminent ensuite au bon endroit et ils jouent les interprètes au besoin», explique Linda Gosselin, vice-président ressources humaines. Cette réception à visages et à voix humaines répond également à des besoins internes. «Des dizaines d'artistes originaires de partout sur la planète viennent ici en formation ou en répétition chaque année. Les réceptionnistes deviennent souvent leur pôle de référence. Elles parviennent toujours, en paroles, par signes ou à l'aide d'images, à leur venir en aide», ajoute-t-elle.

Fonds de solidarité FTQ: une ovation pour la réception

Lors de la présentation des résultats et des orientations du Fonds de solidarité FTQ au personnel de son siège social, le PDG y va chaque fois d'un coup de chapeau à des employés exemplaires. Cette année, Yvon Bolduc a rendu hommage aux deux réceptionnistes. Leurs 450 collègues ont réagi par une longue ovation. «Nous avons pris, il y a longtemps, la décision de personnaliser le premier contact avec le Fonds. Quand la vague d'automatisation téléphonique a déferlé dans les années 1990, nous avons maintenu ce choix «, explique Denis Leclerc, premier vice-président à l'actionnariat. La norme du (514) 383-Fonds, le numéro du service aux actionnaires, prévoit que 90% des appels soient répondus dans un délai de 90 secondes. Ses 50 agents en traitent 400 000 par année.

Rona: comme chez le quincaillier du coin

Sans interruption depuis une décennie, Rona s'inscrit dans le Top 10 des entreprises les plus admirées au Québec de la revue Commerce. Son approche de l'accueil téléphonique y serait-elle pour quelque chose? Difficile à dire. Chose certaine, ce géant a mis en place des systèmes de traitement des appels d'une redoutable efficacité.

Au (514) 599-5900, le numéro du siège socia l , une machine répond, invite à composer le poste de la personne désirée ou à composer le 0. Lors de trois tests réalisées par La Presse Affaires, un chaleureux «Rona bonjour» a retentit après au maximum deux coups de sonnerie. Même type d'accueil et de rapidité au 1-866-283-2239, le numéro du service à la clientèle pour les internautes. Au (514) 599-5954, on répond également et, si le volume d'appel est trop grand, la réceptionniste donne son nom sur une boîte vocale et s'engage à rappeler. Et elle le fait ! «Nous sommes issus d'un réseau de petits commerçants. Nous voulons préserver le même esprit de proximité dans nos rapports avec les clients», explique Eva Boucher-Harting, conseillère aux communications externes chez Rona.

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L'expérience Catherine

En 1992, le professeur Michel Langlois, de l'UQAM, a mesuré l'évaluation, parles clients, dela crédibilité et la compétence d'employés de première ligne dans les entreprises de services.Cette étude est connue comme L'expérience Catherine. Pour la mener,il a embauché une comédienne qui devait accueillir un client avec le même texte mais en adoptant quatre profils différents combinant empathie élevée et froideur,attitude composée ou naturelle. La Catherine empathique etnaturelle a remporté la pal me haut la main. Sur une échelle de 7, elle a obtenu plus de 4,5 points au chapitre de la crédibilité et de la compétence. Sa semblable froide et poseuse a mordu la poussière avec 2,1 points. Avec, rappelons-le, exactement le même texte. «Être compétent dans les services, c'est être capable deconnecter avec le client», résume Michel Langlois. L'expérience Catherine a aussi révélé que l'empathie comptait pour 32 % dans la perception de compétence, l'impression physique pour 9% et les arguments pour 9%. Ces résultat son tété obtenus dans les contacts face à face. «On peut imaginer qu'au téléphone,les écarts entre une voix humaine et une machine seraient encore plus grands», résume le chercheur.

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Percée masculine dans un univers féminin

Les voix mâles sont régulièrement entendues au bout du fil. Au Québec, 10% de toutes les réceptionnistes sont maintenant des hommes, selon Statistique Canada. Avec 34 700 représentantes, les femmes dominent toutefois encore largement les effectifs québécois. Au recensement de 1996, le travail de réceptionnistes était au 10 e rang du Top 10 des professions les plus répandues chez les femmes. Ironiquement, les concepteurs de systèmes téléphoniques automatisés choisissent souvent des hommes pour défiler l'arborescence complexe des organisations. Des timbres graves nous accueillent par exemple à l'UQAM, à Radio-Canada et dans plusieurs hôpitaux. À Sainte-Justine, on a choisi des voix d'enfants.