Et au milieu coule une rivière. Vous vous rappelez ? C'était un film de Robert Redford au début des années 90. Mais ce pourrait être également un documentaire sur la Beauce.

Et au milieu coule une rivière. Vous vous rappelez ? C'était un film de Robert Redford au début des années 90. Mais ce pourrait être également un documentaire sur la Beauce.

Car au milieu des Appalaches, la Rivière Chaudière est l'aorte de cette vallée beauceronne. Elle est aussi le point d'attraction d'une région qui n'a pas accès au fleuve Saint-Laurent, pas de Rocher Percé, ni de Lac-Saint-Jean, à peine quelques vieilles montagnes où une poignée de résistants pratiquent le ski alpin.

Et c'est peut-être ça qui a fait ce miracle beauceron. D'un territoire semi-isolé où coulait la sinueuse rivière, les habitants en ont fait un havre entrepreneurial.

Les chiffres sont là pour le prouver. La Beauce contient en ses terres pas moins de 550 entreprises manufacturières. Elle a toujours présenté un des taux de chômage les plus bas au Québec - environ 4%. Dans les bonnes années, 35% des emplois étaient industriels. Inutile de le dire, dans la Beauce, ce sont les entrepreneurs qui ont le gros bout du bâton.

Mais voilà, depuis quelques années, le fameux miracle beauceron vacille. En raison de la montée des marchés émergeants comme la Chine, de la crise manufacturière et de la devise canadienne forte. Et comme si cela n'était pas assez, la Beauce doit faire face à la concurrence d'autres régions du Québec qui profitent de subventions dans le cadre du programme des «régions ressources».

Pourtant, il n'y a pas si longtemps, la Beauce avait le vent dans les voiles. C'est ce que croit dur comme fer le coloré Denys Sylvain, ancien député libéral sous Robert Bourassa et directeur du CLD Nouvelle-Beauce.

«C'est pas compliqué, de 1991 à 2003, c'était le Klondike ici. On a tellement eu de croissance», lance-t-il.

L'entreprise traditionnelle est alors forte, les jeunes Beaucerons arrêtent bien souvent leurs études et se pointent sur le marché du travail. Ils goûtent rapidement à l'argent, «ils ont une blonde et un char». D'autres travailleurs, plus âgés, passent bien souvent toute leur carrière dans une usine.

Des industries en recul

Résultat : quand d'autres marchés plus compétitifs viennent troubler les secteurs dit traditionnels - textiles, meubles, bois – tout est ébranlé. La main-d'oeuvre n'est pas qualifiée et n'a pas terminé ses études. À l'heure de l'économie du savoir, la Beauce se retrouve encarcanée dans un modèle qui a fait sa réussite et qui pourrait maintenant causer sa perte.

Dans certains secteurs comme le textile, la clé est carrément dans la porte, indique un autre acteur régional d'importance, Réal Laverdière, président de la Conférence régional des élus (CRÉ) de Chaudière-Appalaches. Environ 80% de tous les emplois dans le vêtement ont disparu, indique-t-il.

«Depuis deux ans, nous avons fait le deuil de cette industrie-là», dit-il.

D'autres usines de deuxième et troisième transformation du bois sont également en difficulté. Tout comme les fabricants de meubles. Dans les dernières semaines, un des fleurons beaucerons dans le secteur, Baronet situé à Sainte-Marie-de-Beauce, a fermé ses portes. Pas moins de 145 travailleurs ont été remerciés.

C'est le cas de Jean Gagné, de Vallée-Jonction, qui a oeuvré chez Baronet pendant 32 ans. Le matin, il est entré à l'usine comme les autres jours; le soir, il est reparti chez lui sans emploi.

«Après le repas, on nous a dit que tout était terminé. Ils nous ont donné notre paie de trois jours et nos chèques de vacances. Et puis bonjour la visite», dit-il tout simplement, sans amertume.

L'homme de 54 ans a tenté de se trouver un autre emploi. Mais on priorise les pères de famille. Il faut souvent apprendre un nouveau métier, travailler de nuit. Recommencer à zéro, quoi.

Pour Baronet, la concurrence asiatique, la force du dollar et le prix des matières premières ont été des facteurs déterminants.

Chez Profab, fabricant de maisons de Vallée-Jonction, la crise du crédit aux États-Unis est la cause principale de bien des maux de tête.

«Cela a un impact sur l'inventaire des maisons. Il y a également une baisse au niveau du prix», indique André Turcotte, président de Profab.

Mais il n'y a rien comme un défi de cette taille pour fouetter le Beauceron. M. Turcotte et ses dirigeants se sont donc assis plusieurs fois ces derniers mois pour arriver à surmonter la tempête.

«On a revu notre modèle d'affaires, notre structure de personnel. Nous avons intégré une valeur ajoutée, avons fait plus d'achats aux États-Unis pour réduire les coûts», dit-il.

Le bond des services

Pour les grosses entreprises, la planification a été effectuée il y a plusieurs années. C'est le cas du Groupe Canam, fabricant de structures d'acier. Symbole incontesté et incontestable du génie beauceron dont les bureaux surplombent la 1e avenue à Saint-Georges.

À l'intérieur, tout le monde s'affaire comme des abeilles. La secrétaire parle anglais à des clients. Les gens viennent porter des colis. Le patron Marc Dutil arrive en chemise déboutonnée, relax mais concentré. Pour Canam, la crise actuelle a été vue à l'horizon il y a plus de cinq ans.

«Tu regardes au loin et tu attribues un pourcentage aux différents risques», explique Marc Dutil.

Pour Canam, le péril jaune, connaît pas. À tout le moins, pas encore. «Depuis 1991, on voulait aller en Chine, alors on a investi dans l'aventure», dit-il

Canam a notamment le pied à terre dans l'empire du Milieu et aux États-Unis. Pas moins de 400 ingénieurs de l'entreprise travaillent un peu partout sur la planète. En temps de crise, Canam a des billes un peu partout et peut les jouer comme bon lui semble.

Un point sur lequel les intervenants s'accordent toutefois: la Beauce va surmonter cette période de tourmente.

«En Beauce, on fait plus d'affaires qu'on en faisait. On a moins d'emplois industriels, mais notre chiffre d'affaires a augmenté (4 G$, l'année dernière). Cela veut dire que la région est en train de réussir son virage», affirme Denys Sylvain.

Depuis 2000, 80% des nouveaux emplois de Chaudière-Appalaches – région dans laquelle se retrouve la Beauce - ont été créés dans les services. Les emplois perdus dans l'industriel ont été substitués à d'autres dans le tertiaire.

Malgré tout, un écueil important. La population est moins scolarisée qu'ailleurs au Québec, on peine à recruter de la main-d'oeuvre qualifiée. Une situation qui se résorbe progressivement avec l'arrivée de deux campus universitaires dans Chaudière-Appalaches ces dernières années.

«Le défi de la Beauce, c'est de garder nos employés, de les former et de leur donner des emplois intéressants», croit Réal Laverdière.

Pour Denys Sylvain, le succès viendra en commun.

«Il faut innover, trouver des façons de commercialiser et vendre en groupe à l'intérieur de missions commerciales», dit-il.

Certains diront que la tâche est colossale... mais moins pire qu'une corvée beauceronne.

Suite du dossier sur la Beauce vendredi sur LaPresseAffaires.com