Il est sans doute l'un des financiers canadiens les plus influents des 10 dernières années.

Il est sans doute l'un des financiers canadiens les plus influents des 10 dernières années.

Mais en dépit de sa retraite récente de la présidence de Teachers, la gigantesque caisse de retraite de 106 milliards des enseignants de l'Ontario, Claude Lamoureux, 65 ans, n'entend pas s'arrêter complètement.

«Pourquoi le ferais-je? D'autant que j'ai encore plus de liberté pour organiser mes activités professionnelles à mon goût», dit-il en entrevue dans le bureau que lui a aménagé Teachers' à son siège social, en banlieue de Toronto.

Difficile en effet de couper court après 17 ans à la tête de Teachers' qu'il a réformé de fond en comble, tout en pilotant une croissance de 87 milliards depuis 1990.

«Je connais tout le monde ici et je souhaite demeurer disponible s'ils veulent un avis ou un conseil dans certaines situations. De plus, j'ai accès chez Teachers' au meilleur centre de documentation financière à Toronto, sinon au Canada», dit-il, en montrant du doigt une porte et une cloison vitrées à quelques pas de son bureau.

Entre temps, Claude Lamoureux pratique déjà des activités professionnelles de son «après-Teachers'». Enfin, presque.

Bientôt chez Bell

Car tout le milieu canadien des télécoms s'attend à ce qu'il entre au conseil d'administration de Bell Canada, à la suite de son acquisition par Teachers'.

D'autant plus que le réalisateur de cette énorme transaction, Jim Leech, 60 ans, a succédé à M. Lamoureux à la présidence de Teachers' après des années à bâtir sa division de placements de capitaux privés, l'une des plus importantes à Toronto.

D'ailleurs, symbole de leur complicité professionnelle, Jim Leech a concocté avec des amis financiers un cadeau de retraite particulier pour Claude Lamoureux.

Il s'agit d'un fonds de 3 M$ portant son nom qui versera des bourses aux étudiants de la réputée école de gestion Richard Ivey, de l'Université Western Ontario.

«Ça m'a renversé. Une idée fabuleuse», selon M. Lamoureux, qui multiplie déjà les interventions auprès de groupes d'étudiants et de jeunes professionnels en gestion et en finances.

Mais à propos du conseil d'administration de Bell Canada, «je ne peux commenter pour le moment», a-t-il répondu lors de l'entretien avec La Presse Affaires, à la mi-décembre.

Depuis, Claude Lamoureux a accepté d'entrer en mai prochain au conseil d'administration de Xstrata, le géant minier anglo-suisse.

Xstrata est connu au Canada pour son acquisition en 2006 de Falconbridge/Noranda, au coût de 18 milliards.

Cette invitation du géant minier est venue même si, quelques mois auparavant, Teachers' et Claude Lamoureux l'ont critiqué publiquement pour sa compensation de 305 millions après son offre avortée pour une autre minière canadienne, LionOre Mining.

En fait, cette critique était dans la foulée des préoccupations de M. Lamoureux envers la gouvernance d'entreprises cotées en Bourse, c'est-à-dire les normes et procédures destinées à mieux servir les intérêts de leurs actionnaires.

«Trop longtemps, les dirigeants de grandes entreprises canadiennes à capital ouvert ont tenu les actionnaires pour acquis, même les gros investisseurs comme les caisses de retraite. Il fallait que ça change pour l'intérêt des vrais propriétaires de ces entreprises: leurs actionnaires.»

Gouvernance d'entreprise

À Toronto, Claude Lamoureux figure d'ailleurs parmi les fondateurs de la «Coalition canadienne pour la bonne gouvernance d'entreprise».

Elle regroupe nombre de financiers émérites, dont l'investisseur montréalais Stephen Jarislowsky ainsi que l'ex-banquier et ex-ministre fédéral des Finances, Michael Wilson.

À Montréal, M. Lamoureux siège au conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. Cet institut est dirigé par Michel Nadeau, un ex-vice-président de la Caisse de dépôt et placement et un observateur aguerri de la scène boursière.

«Avec Claude et Stephen (Jarislowsky), on parle des deux chênes de la gouvernance d'entreprise au Canada. Et même à la retraite, ils nous donnent de sérieux coups de pouce», indique Michel Nadeau.

N'empêche, il avoue un autre motif de continuer à côtoyer Claude Lamoureux de temps à autre: poursuivre leurs discussions sur les stratégies de placement et les marchés boursiers.

Un pionnier

«Claude fut un grand pionnier de la gestion beaucoup plus dynamique des placements d'une caisse de retraite, avec les résultats probants que l'on sait pour le rendement et la croissance de Teachers», relate-t-il.

«Du temps que j'étais à la Caisse, sa façon de faire nous inspirait, mais nous défiait aussi. L'équipe de gestion d'investissements constituée par Claude chez Teachers' était passée maître dans l'art d'être dans les bons marchés aux bons moments.»

«C'est pourquoi j'appréciais ces discussions avec Claude Lamoureux au sujet de stratégies de placement. Selon les années, Teachers faisait mieux que la Caisse dans certaines catégories, alors que la Caisse faisait mieux dans d'autres. Mais en fin de compte, c'était la bonne répartition d'actifs de Teachers qui lui permettait souvent de dépasser la Caisse pour le rendement consolidé», a relaté Michel Nadeau.

Pour la suite, les deux auront des chances de se croiser plus souvent au Québec, en particulier dans les Cantons-de-l'Est.

Claude Lamoureux et sa famille immédiate (sa femme et ses trois fils dans la trentaine) ont conservé une résidence de villégiature dans la région.

«Un important gain de la retraite, même active, c'est qu'on a plus de latitude pour organiser ses moments de vacances. Et j'en ai déjà de prévus pour janvier et février», a-t-il conclu.

Les CVM au Canada: «Ça n'a plus aucun bon sens»

Le Tout-Canada boursier reconnaît à Claude Lamoureux une expérience et une crédibilité hors du commun en matière de fonctionnement des marchés financiers.

Or, l'ex-président de Teachers' ne mâche pas ses mots contre la structure des commissions des valeurs mobilières (CVM) au pays, encore divisée par province.

«Ça n'a plus aucun bon sens. C'est une structure qui date de la Confédération et qui ne suffit plus au XXIe siècle, avec la mondialisation des marchés des capitaux», indique Claude Lamoureux, sur un ton teinté d'impatience.

Pourtant, ces CVM provinciales, dont l'Autorité des marchés financiers au Québec, ont réalisé d'importantes étapes de coordination ces dernières années.

«C'est encore nettement insuffisant par rapport à ce qui s'est fait dans les principaux pays d'économie développée. Et quoi qu'en disent les dirigeants des CMV, leur supposé réseau s'appuie largement dans les faits sur ce que peut faire la commission ontarienne (CVMO), en raison de la dominance boursière de Toronto», explique l'ex-président de Teachers'.

Par conséquent, croit-il, il faut ajuster rapidement la structure de réglementation et de surveillance boursière au Canada à la réalité du marché boursier.

«Il faut en venir à une commission pancanadienne avec une charte fédérale, mais où les provinces auraient leur mot à dire, comme l'a proposé l'an dernier le comité Crawford sur le sujet.»

Entre temps, plus les autorités boursières actuelles résisteront, pire sera leur insuffisance de moyens et de compétences, au détriment des investisseurs.

«De la façon dont évolue le marché du placement, comment voulez-vous que 10 commissions provinciales aient les moyens de recruter et de garder des professionnels les plus compétents, et les plus efficaces sur le terrain? C'est une question embarrassante que peu de politiciens et de dirigeants de CVM osent discuter publiquement», conclut Claude Lamoureux.