Une douzaine de banques ont allongé 1,1 G$ pour financer l'achèvement de l'autoroute 30. Un avocat d'Ogilvy Renault nous raconte les coulisses...

Une douzaine de banques ont allongé 1,1 G$ pour financer l'achèvement de l'autoroute 30. Un avocat d'Ogilvy Renault nous raconte les coulisses...

L'avocat Robert Borduas est un pro pour ficeler des gros financements. Comme coresponsable de l'équipe Projet et financement de projet du cabinet Ogilvy Renault, il a, au cours de sa carrière, piloté plusieurs dossiers d'envergure, comme notamment une facilité de lettres de crédit de 4,3 milliards d'euros pour Bombardier ou représenté Alcan pour des lettres de crédit syndiquées de 1 milliard de dollars.

Mais en novembre 2007, il a reçu un appel plutôt inusité d'un des dirigeants du consortium Nouvelle Autoroute 30, celui qui allait remporter l'appel d'offres quelque mois plus tard. «On aimerait que vous représentiez nos prêteurs; pouvez-vous le faire?» lui demande son interlocuteur.

Jusque-là, rien à signaler. Sauf qu'il y avait un hic: Les prêteurs en question n'étaient pas encore connus et n'avaient donc pas de noms!

«Il fallait que j'analyse le contrat de l'entente de partenariat en tenant compte des intérêts des prêteurs... que je ne connaissais pas», raconte l'associé de 42 ans, sans le moindre soupçon d'ironie.

Qu'à cela ne tienne, il se met au boulot sur-le-champ. Mais il doit faire vite car son client lui demande de regarder le contrat - une brique d'un millier de pages - et de lui formuler son analyse une semaine plus tard.

Il épluche donc la documentation. Ce qu'il scrute surtout c'est tout ce qui pourrait affecter les paiements prévus au contrat: les pénalités, les cas de défauts, les cas de force majeure.

«Dans le fond, j'analyse l'ensemble du contrat, mais en me mettant dans la peau d'un prêteur», explique-t-il.

Son boulot ne reprend qu'au printemps 2008. Cette fois, les trois consortiums finalistes sont connus et chacun d'entre eux a identifié une liste de prêteurs potentiels, de grandes institutions financières internationales pour la plupart.

Robert Borduas, lui, a le mandat de négocier pour le compte d'une dizaine de banques le sommaire des termes et conditions, un document qui décrit en quelque sorte la structure du financement et les termes et conditions générales.

Trois mille courriels

Pendant deux mois, lui et son équipe chez Ogilvy Renault négocient serré avec tout ce beau monde. Ils tiennent des téléconférences avec Madrid, Londres, Barcelone, New York, Toronto... Des appels qui durent parfois plus de trois heures!

«Les banquiers nous mitraillaient de questions, dit-il. Ils voulaient connaître les risques juridiques, les recours possibles selon les situations, l'environnement juridique propre au Québec...»

À la fin du mois de mai, les trois finalistes déposent leur soumission, dont leur proposition financière; dans le dossier piloté par Robert Borduas, une demi-douzaine de banques se sont commises pour allonger les sous.

Le tourbillon reprend de plus belle en juin 2008, à l'annonce du consortium gagnant. Bonne nouvelle pour Robert Borduas, il a choisi le bon cheval!

«On n'avait que 90 jours pour conclure. C'est extrêmement court pour un dossier aussi important», dit celui qui a reçu plus de 3000 courriels entre juin et septembre, juste sur ce dossier.

Pour les avocats, le travail consiste à transposer en documentation définitive tout ce que l'on a discuté au cours des mois précédents. Et à vérifier et revérifier les détails.

Entre-temps, par le processus de syndication, le nombre de banques passe de six à douze.

Tout allait bien en fait ...jusqu'à ce qu'arrive septembre et la crise financière.

«Tout d'un coup, certaines banques sont devenues très nerveuses et se sont demandées si elles devaient embarquer ou non dans un prêt de 30 ans.»

Au point de faire échouer la transaction? Pas vraiment, dit Robert Borduas. "Mais réunir plus d'un milliard de dollars dans ces conditions est tout de même un tour de force."

Financement 101 en période de crise

Vous cherchez du financement, mais ne savez pas comment aborder votre banquier en ces temps difficiles. Un pro vous explique ce qui se passe dans la tête de votre gérant de banque.

1) Attendez. Deux facteurs ont présentement une influence importante sur le marché du prêt bancaire pour les entreprises, explique Robert Borduas: la crise de confiance qui affecte les institutions financières et l'anticipation d'une récession. Le premier facteur a pour effet d'augmenter le coût des fonds des banques et, par conséquent, les taux d'intérêt exigés par ces dernières sur les prêts aux entreprises. Si votre entreprise n'a pas à refinancer sa dette à brève échéance, il est sans doute préférable d'attendre que l'instabilité du secteur financier se résorbe.

2) Occasions d'affaires. Quant à l'anticipation d'une récession, elle incite naturellement les banques à la prudence. L'entreprise qui sollicite des facilités de crédit devra donc démontrer qu'elle offre un profil de risque intéressant même en cas de récession. Par ailleurs, les récessions sont souvent source d'occasions d'affaires. Par exemple, une société pourra profiter d'un tel contexte pour acheter à bon prix un concurrent qui éprouve des difficultés. Les banques devraient donc demeurer ouvertes à la possibilité de financer leurs clients pour leur permettre de saisir de telles occasions.