La liberté d'expression des travailleurs salariés est modulée par leur devoir de loyauté. Quand la tension monte, mieux vaut tourner sa langue dans sa bouche sept fois avant de passer dans l'arène publique.

La liberté d'expression des travailleurs salariés est modulée par leur devoir de loyauté. Quand la tension monte, mieux vaut tourner sa langue dans sa bouche sept fois avant de passer dans l'arène publique.

Alain Villeneuve, enseignant, assiste à une réunion de commissaires-parents. Choqué par leur attitude face à une délégation de parents et d'enseignants, il envoie au quotidien de sa région une lettre où il dénonce la non-représentativité de ces commissaires.

Leur parler, écrit-il, «aura été une expérience tout aussi enrichissante et réconfortante que de parler à un hot chicken.»

Dans sa lettre, qu'il signe à titre de parent, il les accuse aussi de «jouer les béni-oui-oui des dirigeants de la commission scolaire».

La réaction ne tarde pas. Le directeur de la commission scolaire impose à M. Villeneuve une suspension sans traitement de deux jours, pour «critique publique abusive de l'employeur».

Portée en arbitrage, l'affaire a récemment connu son dénouement. L'arbitre a estimé que M. Villeneuve n'avait pas manqué à son obligation de loyauté envers son employeur, mais qu'il avait enfreint son Code d'éthique en utilisant un langage péjoratif et méprisant envers les commissaires-parents. Une réprimande écrite a été substituée à la suspension.

Pour départager les dénonciations fautives de celles qui sont légitimes et fondées sur l'intérêt public, on doit examiner plusieurs questions, note Me Marie-Claude Perreault, conseillère en relations industrielles agréée et associée du cabinet Lavery, de Billy.

Tout d'abord, l'employé doit avoir épuisé les recours internes.

La finalité de ce critère est simple, explique la spécialiste du droit du travail. «Il faut donner à l'employeur la possibilité de prendre connaissance du problème et de réagir en conséquence avant que le public ne soit mis au courant.»

L'employeur a donc tout l'avantage à mettre en place des instances susceptibles d'accueillir les plaintes de ses employés et plus particulièrement, les dénonciations d'actes fautifs ou illégaux. À défaut de quoi, ses employés pourraient se sentir obligés d'aller dans l'arène publique pour régler des situations internes.

L'exactitude des faits

Une autre question cruciale selon la jurisprudence est l'exactitude des faits dénoncés. Dans l'affaire Côté contre Hydro-Québec, le Commissaire du travail avait conclu que l'employeur avait eu raison de congédier un employé qui avait faussement déclaré aux médias, à plusieurs reprises, qu'il y avait un lien entre Hydro-Québec et l'Ordre du temple solaire.

Il faut regarder l'intention de l'employé dénonciateur, indique Me Perreault. «Si ce dernier s'adresse d'abord aux médias au lieu d'aller parler à son superviseur ou de respecter la filière hiérarchique, il y a lieu de se questionner sur ses motifs.»

L'employé qui agit de mauvaise foi, notamment par vengeance, commet une faute grave, précise l'associée. C'est ainsi qu'un arbitre a maintenu le congédiement d'une employée d'une résidence pour personnes âgées qui avait dénoncé les mauvais traitements infligés aux bénéficiaires. L'employeur n'a pu démontrer la fausseté des accusations, mais a pu mettre en doute la bonne foi de l'employée, vu leurs relations difficiles.

Dernier point crucial: était-il vraiment nécessaire de passer par les médias? Malgré les motivations les plus louables - stopper une fraude, par exemple -, un employé peut être malvenu de signaler un problème aux médias plutôt qu'aux autorités gouvernementales compétentes.

Ce cas se présente parfois avec certains corps de métier n'ayant pas le droit de grève, remarque Me Perreault. Comme moyen de pression, un employé peut être tenté de dénoncer aux médias une situation où il juge sa sécurité en danger.

Or, d'autres mécanismes existent déjà pour signaler des problèmes en matière de santé et de sécurité du travail. Cependant, s'il s'agit de la protection du public, un tribunal pourrait juger que la dénonciation était nécessaire et légitime.

Problème de moisissures

Par exemple, dans un autre cas concernant une commission scolaire, un enseignant avait été suspendu pendant cinq jours pour avoir publiquement dénoncé un problème de moisissures dans son école. L'arbitre a remplacé cette sanction par un simple avertissement puisque l'employé pouvait raisonnablement craindre pour la santé des élèves dont il était responsable.

Et les leaders syndicaux dans tout cela? Bien qu'elles soient soumises au même régime, leurs déclarations «jouissent d'un adoucissement des règles», mentionne Me Perreault.

C'est «une réalité incontournable» que les querelles entre employeurs et syndicats débordent souvent dans l'espace public. Les arbitres du travail en tiennent donc compte.

Comme en toute chose, la modération a bien meilleur goût: si la liberté d'expression des employés n'est pas absolue, le droit de sanction des employeurs ne l'est pas davantage.