American Apparel a l'habitude de ne rien faire comme les autres. Alors que la quasi-totalité des multinationales du vêtement font fabriquer leur marchandise en Asie, l'entreprise du Montréalais Dov Charney fait coudre tous ses vêtements au centre-ville de L.A.

American Apparel a l'habitude de ne rien faire comme les autres. Alors que la quasi-totalité des multinationales du vêtement font fabriquer leur marchandise en Asie, l'entreprise du Montréalais Dov Charney fait coudre tous ses vêtements au centre-ville de L.A.

Aujourd'hui, American Apparel va plus loin: elle veut vendre ses vêtements «Made in USA» en Chine.

Trois boutiques ouvriront leurs portes ce printemps à Pékin, Shanghai et Suzhou. Les employés y seront payés au salaire minimum américain, soit 5,85 $ US l'heure. Une petite fortune en Chine, où cette somme représente souvent plus d'une journée de travail.

«Ça peut sembler paradoxal de vendre des vêtements américains en Chine, mais pour nous c'est un développement très logique», explique Dov Charney en entrevue avec La Presse Affaires à Los Angeles.

La négociation

Cela fait deux ans que son entreprise fait des démarches pour ouvrir des boutiques en Chine.

«C'est compliqué. Il faut trouver les bons locaux, il faut négocier avec plusieurs niveaux de gouvernement. C'est un job à temps plein.»

L'idée d'être en Chine, dit-il, est de profiter d'un marché en émergence.

«On l'oublie souvent, mais il y a une classe moyenne en Chine. Plus de 40 millions de Chinois gagnent un salaire comparable aux travailleurs canadiens. Je veux dire, c'est quand même quelque chose!»

American Apparel possède déjà un réseau de 180 boutiques dans 13 pays, dont le Japon et la Corée du Sud. Tous les produits sont fabriqués à Los Angeles, une formule d'intégration verticale qui fait sauver du temps et de l'argent à l'entreprise, selon M. Charney.

Les t-shirts très simples d'American Apparel se vendent bien souvent à plus de 20$ en Amérique du Nord. Les Chinois sont-ils prêts à débourser cette somme?

Le patron d'American Apparel croit que oui. Le défi, dit-il, sera de réussir à convaincre les consommateurs de payer pour des produits qui n'ont pas de logos, qui sont très peu identifiables au premier coup d'oeil.

«Il y a bien des gens en Chine qui veulent flasher et qui portent du Gucci et tout ça. Ça peut être très bourgeois.... Nous, nos vêtements sont simples, pas tape-à-l'oeil du tout. Nous allons nous adresser à une clientèle jeune, qui est au courant de ce qui se passe. Une clientèle métropolitaine», explique Charney, 39 ans, qui a grandi à Westmount pour ensuite s'établir à Los Angeles, il y a 10 ans, afin d'y baser son entreprise.

Au fil des ans, American Apparel s'est fait connaître pour ses publicités sexy qui mettent en scène des filles aux vêtements moulants photographiées dans un contexte soft-porn. Dov Charney affirme qu'il ne changera rien à cette recette en Chine.

«Les Chinois sont conservateurs à bien des égards, mais pour la mode, ils sont très ouverts. Le magazine Vogue fait fureur là-bas, les gens sont au fait de la mode parisienne. Je ne crois pas que nos images vont choquer.»

Poursuite de... Woody Allen?

La semaine dernière, American Apparel a fait les manchettes pour une nouvelle qui ressemblait à un poisson d'avril: Woody Allen poursuit l'entreprise pour un million de dollars.

C'est que Dov Charney a affiché sur un panneau publicitaire géant une image tirée du film Annie Hall où Woody Allen est habillé en juif hassidique.

M. Charney dit que le babillard géant n'était pas une publicité pour son entreprise, mais une façon de se montrer solidaire de M. Allen.

Dov Charney se défend lui-même devant les tribunaux pour une poursuite de harcèlement sexuel déposée par une ex-employée (il nie avoir agi de façon déplacée).

«C'est bien connu, Woody Allen a eu, disons, des irrégularités dans sa vie privée, et beaucoup de monde en a profité pour marginaliser son travail. Moi aussi j'ai eu des poursuites, et je voulais faire la connexion... En plus, le babillard était écrit en yiddish et il n'est resté affiché qu'une semaine... Nous nous sommes excusés publiquement, mais nous croyons que notre geste est défendu par le premier amendement de la Constitution.»

Une «hystérie»

«Il y a une hystérie malsaine ici au sujet des célébrités, et il faut faire quelque chose contre ça», ajoute-t-il.

American Apparel a l'habitude de faire des affichages sociétaux: cet hiver, l'entreprise a acheté de pleines pages dans les journaux et les magazines américains pour dénoncer le «système d'apartheid» que sont les lois de l'immigration aux États-Unis.

Un peu partout à Los Angeles, des pancartes «Legalize L.A.» ont été clouées sur des poteaux de téléphone et accrochées aux lampadaires.

«Je suis quelqu'un qui a des convictions, et je les défends, dit M. Charney. Je ne fais pas ça pour vendre des t-shirts, c'est séparé. Je fais ça pour susciter des débats importants qui sont trop rares dans notre société...»