Victimes de la non-réglementation dont elles étaient pourtant les championnes, les banques d'investissements américaines appartiennent désormais au passé.

Victimes de la non-réglementation dont elles étaient pourtant les championnes, les banques d'investissements américaines appartiennent désormais au passé.

En devenant des banques avec activités de dépôt, les deux ex-vedettes de Wall Street auront droit en permanence au concours de la Réserve fédérale (Fed) comme prêteur de dernier ressort. Les mesures exceptionnelles mises en place au printemps pour les aider devaient en principe prendre fin le 30 janvier.

En échange de l'accès permanent aux liquidités de la Fed, Morgan Stanley et Goldman Sachs seront désormais sous sa surveillance plutôt que de celle de la Securities and Exchange Commission (SEC). «La Fed est plus sévère, plus scrupuleuse que la SEC, explique en entrevue Jean Roy, professeur titulaire de finances à HEC Montréal. Dans le bras de fer actuel, c'est comme si la Fed disait: OK, je suis prête à vous prêter, mais en échange, je vais vous superviser.»

Il faudra un certain temps avant que les deux puissent disposer d'un véritable réseau de succursales au détail, le temps de lever assez de capital pour absorber une des banques régionales américaines dont la valeur boursière a perdu de leur superbe depuis le début de l'année.

Du côté de Morgan Stanley, un bon coup de pouce viendra de Mitsubishi UFJ. La plus grande banque nipponne se dit prête à invertir jusqu'à 8,4 G$ US pour acquérir de 10% à 20% de son capital. Il s'agirait, selon l'agence Bloomberg, de la plus grande acquisition étrangère par une société financière japonaise.

Effets de levier

La transformation de Morgan et de Goldman en banque avec activités de dépôt les oblige aussi à se conformer aux règles de capitalisation des banques, stipulées dans l'Accord de Bâle conclu en 1988 par les principales banques centrales des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). La plus importante de ces règles exige qu'une banque doit avoir en fonds propres l'équivalent d'au moins 8% de ses actifs à risque.

Les Morgan Stanley et autres Goldman Sachs de ce monde n'étaient pas soumises à ces règles, ce qui les a amenées à abuser de l'effet de levier. Bien qu'ayant toujours déclaré des profits, Morgan avait dû procéder à des radiations de 15,7 G$ US liées à la titrisation hypothécaire, Goldman à 4,9 milliards US.

Faute de réserves, elles devaient lever des capitaux pour faire face à leurs obligations, au moment où se tarissaient leurs sources de revenus (fusions-acquisitions, nouvelles émissions, etc.) ou de financement.

Cela aura au bout du compte conduit à leur perte. Plus une institution recourt à l'effet de levier pour accroître son actif, plus elle s'endette. Pour chaque dollar de capital, Morgan était réputée en devoir 32 et Goldman, 22.

Pire, Bear Stearns (avalée par JP Morgan en mars), Lehman Brothers (en voie de démantèlement), Merrill Lynch (avalée la semaine dernière par Bank of America), Morgan Stanley et Goldman Sachs étaient farouchement opposées à toute forme de réglementation.

«Il est ironique que les banques d'investissement qui ne voulaient pas d'entraves réglementaires aux ventes à découvert et qui ont même milité pour la levée des limites d'amplitude des fluctuations boursières (uptick rule) soient devenues les victimes de raids qui ont fait voler en éclats leur capitalisation boursière en quelques jours», notait hier Peter Gibson, vice-président de Valeurs mobilières Desjardins, dans sa note quotidienne Morning Pulse.

Pour en rajouter, souligne l'analyste, les grands clients de ces firmes, soit les fonds spéculatifs (hedge funds), étaient les artisans des ventes à découvert massives qui leur auront été fatales.

La transformation de Morgan Stanley et Goldman Sachs en holdings financiers avec activités de dépôt annoncée dimanche est la plus récente de la batterie de mesures lancées par le Trésor américain et la Réserve fédérale pour empêcher l'implosion du système financier américain.

Elle a été annoncée dans la foulée du vaste plan de rachat par l'État américain des créances toxiques des institutions financières faisant affaire aux États-Unis.

Ce plan d'urgence d'au moins 700 G$ US, de même que la mutation de Morgan et de Goldman, a été salué hier par les ministres des Finances du G7 après leur téléconférence.

«Nous reconnaissons l'importance d'accroître l'efficience de la réglementation et de ramener les investisseurs sur un marché plus stable et plus liquide, lit-on dans le communiqué commun. Nous réitérons notre engagement à mettre en place rapidement toutes les recommandations du Forum sur la stabilité financière pour assurer la résilience du système financier mondial à long terme.»

Comme au Canada

Avec la disparition des banques d'investissements, les États-Unis se retrouvent avec un système financier qui ressemble un peu plus à celui du Canada, concentration en moins.

Jusqu'à 1987, nos banques, maisons de courtage, fiducies et compagnies d'assurances étaient des entités distinctes. Depuis, les banques ont avalé fiducies et maisons de courtage.

Mutualisées jusqu'à récemment, les compagnies d'assurances ont échappé à cette concentration. Elles ont pu par la suite se démutualiser et se capitaliser de manière ordonnée et assurer leur essor, même aux États-Unis.

La Loi canadienne sur les banques est révisée tous les cinq ans.

«Au Canada, il existe une gentille collusion entre Ottawa et le secteur financier, explique M. Roy. C'est parfois un peu plus cher pour le consommateur, mais c'est mieux que ce que les Américains vivent.»