La table est mise pour la retraite, espèrent Catherine et Pierre.

La table est mise pour la retraite, espèrent Catherine et Pierre.

Parvenus au seuil de la soixantaine, le couple de restaurateurs désire vendre sa maison et le commerce attenant, situés à la campagne, dans Lanaudière.

La fermette, achetée en 1980, s'est d'abord muée en table champêtre, puis en restaurant.

Mais après 25 ans d'efforts soutenus et de plats mitonnés avec amour, le couple veut ralentir. «C'est la charge de travail, explique Catherine. C'est très exigeant. On finit très tard.»

Malgré cette persévérance, le couple n'a aucune épargne, aucun REER.

«Tout l'argent que nous avons investi l'a été dans notre commerce, confie Catherine. C'est notre fonds de pension. On ne pouvait pas épargner pour la retraite en même temps.»

Achetée 37 500 $, la fermette a reçu des rénovations totalisant 75 000 $. Ces investissements ont été capitalisés, c'est-à-dire ajoutés au coût de l'actif, plutôt que soustraits des revenus d'entreprise à titre de dépenses d'entretien.

Par conséquent, lorsqu'il s'agira de calculer le gain en capital réalisé à la vente, il faudra comparer le prix de vente à un investissement total de 112 500 $.

Une hypothèque de 93 000 $ court encore sur la propriété.

Les deux conjoints viennent de mettre la propriété en vente au prix de 600 000 $, fonds de commerce inclus. Ils ont refusé une offre de 350 000 $.

Pierre et Catherine espèrent acheter une petite propriété en campagne, qu'ils pourraient tranquillement remettre en état. Ils songent également à y adjoindre un pied-à-terre à Montréal.

«Comment éviter qu'une importante partie de la vente ne retourne dans les caisses du gouvernement?», s'enquièrent-ils.

Les deux restaurateurs auraient pu poser la question autrement: comment réduire leur assiette fiscale?

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Les préoccupations de notre couple sont fondées: lorsqu'un gain en capital est concrétisé, la moitié est imposable.

Leur principal espoir de restreindre l'appétit du fisc à l'endroit de leur maison-restaurant réside dans l'exemption pour résidence principale, qui soustrait celle-ci à l'impôt sur le gain en capital.

En effet, dans certaines circonstances, «une maison conservera en totalité son statut de résidence principale même si une partie de la propriété est utilisée pour gagner un revenu», fait valoir Marguerite Pernice, planificatrice financière et directrice principale, Gestion personnalisée, à la Banque Nationale.

Pour ce faire, il faudra que l'usage commercial ne soit qu'accessoire et qu'aucune modification structurale n'ait été apportée à l'édifice. Enfin, aucune déduction ne doit avoir été réclamée à l'égard de l'amortissement pour la partie commerciale.

C'est dans ce dernier cas que le bât blesse: il y a ambiguïté dans les données comptables. Non seulement le couple a-t-il demandé une déduction pour amortissement sur la partie commerciale de la propriété, mais il semble que cet amortissement ait été appliqué aussi sur la partie résidentielle.

En d'autres mots, la section dévolue à l'entreprise et la partie personnelle risquent toutes deux d'être soumises à l'impôt sur le gain en capital. Pour compliquer les choses, la maison appartient à Pierre mais les hypothèques pour rénovation ont été contractées sous les deux noms.

«À la lumière de l'information recueillie, constate Mme Pernice, nous ne sommes pas en mesure d'établir clairement si notre couple aura droit à la déduction pour résidence principale pour la partie non utilisée à des fins d'affaires.»

La chose devra être tirée au clair avec un comptable fiscaliste.

«De plus, ajoute-t-elle, ils devront s'imposer sur la récupération d'amortissement, c'est-à-dire sur la totalité des dépenses d'amortissement prises au cours des dernières années.»

Pierre et Catherine n'auraient pas non plus droit à l'exonération de 500 000 $ sur les «biens agricoles admissibles», aux critères de laquelle leur ancienne fermette ne répond pas.

Une — relative — bonne nouvelle se dégage de ce fatras: l'impact de la déduction pour résidence familiale sur les revenus de retraite du couple est marginal. Elle ajouterait moins de 500 $ par année à son train de vie.

«Nous avons donc opté pour l'hypothèse la plus conservatrice, soit celle où ils ne seront pas admissibles à cette déduction», indique notre planificatrice.

Première hypothèse

Quels revenus de retraite Pierre et Catherine pourraient-ils tirer de la vente de leur propriété? Marguerite Pernice a fait deux simulations.

Dans les deux cas, elle pose l'hypothèse que l'édifice et le terrain accapareraient 175 000 $ du prix de vente, le reste étant attribué au fonds de commerce.

Les gains en capital imposables et la récupération d'amortissement seraient séparés également entre les deux conjoints, «puisqu'il semble y avoir une société de personnes implicite où chacun possède 50 % des parts», explique notre spécialiste.

Elle suppose encore que le solde hypothécaire de 93 000 $ serait acquitté et que le couple achèterait comptant une petite propriété de 100 000 $. Enfin, les deux conjoints combleraient sur le champ leurs droits de cotisation REER inutilisés, d'un montant de 27 000 $ pour Pierre et de 26 500 $ pour Catherine.

Pierre commencera à toucher sa rente de la RRQ en 2007 et Catherine demandera la sienne l'année suivante.

Le paramètre qui reste à faire varier est la valeur du fonds de commerce.

Mme Pernice pose d'abord l'hypothèse plus pessimiste d'une valeur de 175 000 $, pour un prix de vente total de 350 000 $.

Dans ces conditions, calcule Mme Pernice, «nous constatons que notre couple peut se permettre un coût de vie de 22 350 $ (indexé de 2 % par année) jusqu'en 2045, au moment où il y a une probabilité de 20 % que l'un des deux conjoints soit toujours en vie.»

S'il atteint cette échéance, le conjoint survivant aura encore en main la propriété achetée 100 000 $, qui aura alors une valeur de 212 000 $, en supposant un accroissement de 2 % par année.

Deuxième hypothèse

Plus optimiste: la propriété et le fonds de commerce sont vendus pour un total de 500 000 $. Cette fois, le coût de vie, toujours indexé à 2 %, grimpe à 27 300 $, soit quelque 5000 $ de plus.

Un peu mieux. Un peu.

«Tout au long de leur vie active, les deux conjoints n'ont pas accumulé d'actifs autres que la propriété, ce qui les amène à un coût de vie disponible limité, une fois la retraite venue», constate Mme Pernice.

Même dans le cas le plus favorable, leurs revenus ne leur permettront pas d'acquérir à la fois une petite propriété à la campagne et un pied-à-terre à Montréal.

La planificatrice leur suggère d'envisager l'idée de poursuivre leurs activités jusqu'en 2012, alors qu'ils auront 65 ans. Avec une retraite raccourcie de cinq ans, leur train de vie pourrait grimper à 26 500 $ par année (en dollars d'aujourd'hui et indexé de 2 % par année) s'ils obtiennent 350 000 $ pour leur propriété, et à 31 000 $ s'ils en tirent 500 000 $.

Mais peut-être Catherine et Pierre préféreront-ils les revenus moindres d'une retraite immédiate.

Une retraite à déguster lentement...