Le dossier de Martin Tremblay continue de soulever de vives discussions devant les tribunaux du Québec. Jeudi, un débat a eu lieu pour répondre à une question pourtant simple: qui est le véritable propriétaire d'une entreprise dont Martin Tremblay était le prête-nom?

Le dossier de Martin Tremblay continue de soulever de vives discussions devant les tribunaux du Québec. Jeudi, un débat a eu lieu pour répondre à une question pourtant simple: qui est le véritable propriétaire d'une entreprise dont Martin Tremblay était le prête-nom?

L'entreprise en question s'appelle Kenneth W. Salomon Investment Fund, des Bahamas. Cette firme est représentée par le cabinet d'avocats Séguin Racine, de Laval. Elle a vu ses fonds gelés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) en février, dans la foulée de l'arrestation de Martin Tremblay, coupable de blanchiment d'argent.

Depuis le printemps, la firme Séguin Racine tente de faire débloquer les fonds de Kenneth, qui dorment à la firme de courtage Jones Gable, à Montréal. Globalement, les fonds ont une valeur de 1,1 million de dollars, dispersés dans divers titres boursiers à faible capitalisation.

Kenneth Fund n'est pas inconnu de l'AMF. Le nom de l'entreprise a circulé dans la vaste enquête qu'a menée l'AMF sur le conseiller en placements Louis-Philippe Séguin et sa firme Corporation stratégique SPJ. Au terme de l'enquête, l'été dernier, l'AMF a déposé 28 chefs d'accusation contre Louis-Philippe Séguin et SPJ pour délits d'initiés et levée de fonds sans prospectus. L'AMF réclame une peine de 186000$.

Jusqu'en janvier dernier, Louis-Philippe Séguin était d'ailleurs le conseiller en placements de Kenneth Fund pour le compte de la firme de courtage Jones Gable. L'Association des courtiers (ACCOVAM) tente de questionner M. Séguin sur Kenneth, mais ce dernier refuse de collaborer.

Hier, Bruno Racine, de Séguin Racine, a livré son plaidoyer devant le Bureau de décision et de révision des valeurs mobilières (BDRVM). Il soutient que l'AMF n'a rien à reprocher à Kenneth et demande le déblocage des fonds.

Mais l'AMF s'y oppose. L'organisme fait valoir que le bénéficiaire ultime de Kenneth est Martin Tremblay, selon ce qu'indique le formulaire d'ouverture de compte de la firme Jones Gable. Seul lui peut demander le déblocage.

En réplique, Me Racine affirme que Martin Tremblay n'a jamais été le véritable propriétaire. L'ultime bénéficiaire a récemment transféré les pouvoirs sur cette entreprise à un certain Anthony Horwoth, des Bahamas, selon Me Racine. Le document en preuve a été télécopié aux parties mardi après-midi, alors que l'audience devant le BDRVM a eu lieu hier matin, mercredi.

Devant cette discussion, l'un des deux commissaires (l'équivalent d'un juge) du Bureau de révision est intervenu. " On aime bien que les sommes qu'on débloque reviennent aux bons bénéficiaires. Or, on ne le connaît pas, a dit Jean-Pierre Major. Dans le vrai monde, celui qui a un million de dollars de bloqué a tout intérêt à dire : vous faites erreur, c'est mon argent, pas celui de Martin Tremblay. J'ai autre chose à faire que d'attendre. N'est-ce pas le gros bon sens, Me Racine ? "

Hier, l'enquêteur de l'AMF, Hélène Barabé, a fait un aveu surprenant. L'AMF connaît le véritable propriétaire de Kenneth, mais ne peut le dévoiler. L'AMF a obtenu le renseignement de la Commission des valeurs mobilières des Bahamas à la condition que l'information ne soit pas utilisée dans des recours judiciaires. La seule chose que l'AMF peut dévoiler, c'est que l'ultime propriétaire est un résident du Québec.

Sur la foi de cette information, l'avocat de l'AMF, Éric Blais, a alors expliqué certaines motivations de l'Autorité. Si Martin Tremblay n'est pas le bénéficiaire du compte, c'est qu'il est un conseiller ou un gestionnaire de Kenneth. Or, pour être conseiller, il faut être enregistré auprès de l'AMF, ce qui n'est pas le cas de Martin Tremblay. Autrement dit, s'il n'est pas le bénéficiaire, Tremblay et Kenneth sont donc en infraction de la loi. L'AMF ne veut pas qu'en débloquant les fonds, cette situation perdure avec le nouveau présumé dirigeant de Kenneth, Anthony Horwoth.

Pour régler l'impasse, Me Racine a proposé de donner à huis clos le nom du Québécois propriétaire. Mais La Presse Affaires s'y est opposée, compte tenu du caractère public des débats du tribunal. À ce sujet, la cause reviendra devant le Bureau de révision le 10 janvier.

Hier, Me Racine n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse. Précisons que son associé chez Séguin Racine, Hubert Séguin, est le frère de Louis-Philippe Séguin.