L'Université du Québec à Montréal vient de lancer un service de consultation en gestion des ressources humaines. C'est la première fois, au Québec, qu'une université accrédite officiellement le double emploi de ses enseignants. Une pratique qui est loin de faire l'unanimité.

L'Université du Québec à Montréal vient de lancer un service de consultation en gestion des ressources humaines. C'est la première fois, au Québec, qu'une université accrédite officiellement le double emploi de ses enseignants. Une pratique qui est loin de faire l'unanimité.

La création de cette boîte de consultants, à la mi-février dernier, est une initiative de Daniel Beaupré, directeur de l'Observatoire de gestion stratégique des ressources humaines de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. L'Observatoire a vu le jour en novembre 2006.

Selon Daniel Beaupré, la mise sur pied d'un tel service contribuera à mieux encadrer une pratique relativement courante dans les facultés de gestion.

«Même si un professeur offre des services-conseil en son propre nom, il profite en même temps de la réputation de l'institution où il enseigne pour gagner des clients. Or, son université n'a aucun droit de regard sur sa pratique lorsqu'il agit à son compte», explique Daniel Beaupré.

Dans le modèle du Service de consultation de l'Observatoire, M. Beaupré, à titre de représentant de l'Université, sera chargé de veiller à la rigueur des interventions ainsi qu'à la qualité de la prestation de service. Il va de plus s'assurer que les professeurs accomplissent des mandats reliés à leur champ d'expertise.

Les professeurs devront de plus verser 25% des honoraires reçus pour des contrats obtenus via le Service. Selon M. Beaupré, c'est un juste retour des choses puisque les professeurs-consultants utilisent les locaux, les services de télécommunications et plusieurs autres services de leur employeur.

À ce jour, une dizaine de la trentaine d'enseignants de l'École des sciences de la gestion ont manifesté leur intérêt pour la formule. Parmi les spécialités offertes, notons la planification stratégique des ressources humaines, la gestion de la relève, la gestion de la rémunération et la résolution de problèmes.

«Ce projet s'inscrit dans la logique des services à la collectivité de l'UQAM. Nous voulons aider les entreprises à résoudre des problèmes et nos tarifs seront inférieurs à ceux du marché», indique Daniel Rouleau.

Concurrence déloyale

Florent Francoeur, PDG de l'ORHRI (anciennement l'Ordre des conseillers en ressources humaines et des conseillers en relations industriels agréés du Québec), accueille cette initiative avec beaucoup de réserves.

«Quand un professeur d'université effectue de la recherche en milieu de travail, consigne ses observations, émet des opinions sur ce qu'il a vu et partage ensuite son savoir avec ses étudiants et les professionnels de son domaine, je salue ce travail. Mais quand il décide de faire de la consultation, c'est une autre histoire. Il se place en compétition indue avec ceux qui en vivent», dit-il.

Quelque 1500 des 8000 conseillers en ressources humaines et conseillers en relations industrielles agréés membres de l'ORHRI sont travailleurs autonomes. Ils doivent défrayer les coûts de loyer, de formation, de perfectionnement, les cotisations à l'ORHRI et autres dépenses de base, avant de faire un seul dollar.

«Un professeur d'université a déjà un salaire, un local et il est dans un environnement où l'information est facilement accessible. Il jouit de la crédibilité de son institution. Il peut donc offrir ses services à moindre coût», note M. Francoeur.

Ses réserves ne s'arrêtent pas là.

«La majorité des professeurs d'université ne sont pas membres de l'ORHRI, sous prétexte qu'ils ne font pas de consultation. Or, le public est loin d'être protégé de la même façon lorsqu'il embauche un conseiller en ressources humaines agréé et un consultant non membre de l'Ordre», insiste M. Francoeur.

Les membres de l'ORHRI adhèrent à un code de déontologie spécifique à leur pratique, ils sont soumis à des inspections et leurs clients possèdent des recours – plaintes, conciliation et arbitrage – en cas de fautes professionnelles. Ils doivent également adhérer à un régime d'assurances responsabilité et sont soumis au secret professionnel.

«Les codes de déontologie qui régissent les professeurs d'université n'ont pas les mêmes exigences», souligne le PDG de l'ORHRI.

Selon M. Francoeur, les entreprises et les professionnels en ressources humaines ont besoin des professeurs d'université. Mais il souhaite qu'ils se concentrent sur leur rôle fondamental, soit faire de la recherche, enseigner et diffuser des connaissances au profit de l'ensemble de la société.

Sujet tabou

Difficile de trouver, en milieu universitaire, des individus qui condamnent ouvertement les services de consultation privés dispensés par des professeurs.

À l'Université de Sherbrooke, les règles prévoient que les professeurs qui offrent de tels services doivent en informer leur doyen mais rien n'interdit le double emploi.

Tous les contrats de recherche doivent par ailleurs être soumis à l'approbation du Bureau de liaison entreprises-université (le BLEU). «Il y a souvent des enjeux de propriété intellectuelle ou de responsabilité civile qui engagent l'université dans ces mandats. Ce n'est pas le cas dans les mandats liés aux connaissances de l'enseignant», explique son directeur Jacques Lavoie.

Par contre, lorsqu'ils offrent des services-conseil, les professeurs demeurent assujettis à la politique en éthique et en probité de l'Université. Et ils doivent, peu importe la nature de leurs collaborations extérieures, produire une déclaration de conflits d'intérêts.