Toutes les industries qui ont prospéré au Québec se sont abreuvées abondamment et gratuitement aux sources d'eau disponible en quantité sur le territoire.

Toutes les industries qui ont prospéré au Québec se sont abreuvées abondamment et gratuitement aux sources d'eau disponible en quantité sur le territoire.

Mais, même s'il n'y a pas de pénurie à l'horizon, l'abondance d'eau au Québec est une illusion et l'industrie doit se préparer à payer pour continuer d'en user.

«On a, à tort, un sentiment d'abondance», estime Yves Bégin, le nouveau directeur du Centre de recherche sur l'eau de l'Institut national de recherche scientifique (INRS). Il y a aujourd'hui plus d'eau disponible qu'au 19e siècle, mais la qualité de cette eau se détériore, explique-t-il.

Déjà, des villes ont des problèmes d'approvisionnement en eau potable à cause de la prolifération des cyanobactéries. Les ressources en eau du Québec sont sous pression, surtout à cause de la croissance économique.

«La croissance de la demande industrielle est le double de la demande domestique, explique Yves Bégin. Il faut s'inquiéter de la disponibilité de l'eau de qualité».

La disponibilité de l'eau au Québec n'a jamais été un problème. Il y en a, mais combien exactement? Personne ne peut répondre à cette question. «On connaît les eaux de surface mais en ce qui concerne les eaux souterraines, il y a énormément de recherche à faire», dit Yves Bégin.

Les embouteilleurs d'eau du Québec, qu'on accuse souvent de piller gratuitement les réserves d'eau, affirment prélever une infime partie de la ressource.

«On prélève 8 centièmes de 1% du volume total d'eau souterraine captée au Québec chaque année», affirme Daniel Colpron, président de l'entreprise qui embouteille l'eau Amaro.

Sur son site, l'Association cite des chiffres du ministère de l'Environnement qui estime les réserves d'eau souterraine à 200 000 milliards de litres. Vérification faite auprès du ministère, ce chiffre ne veut rien dire.

«Il s'agit d'une évaluation très très très sommaire faite il y a environ 20 ans, dit Normand Boulianne, porte-parole du ministère. En fait, on connaît peu de choses sur les réserves d'eau souterraine, on vient de commencer à en faire l'évaluation».

Bref, personne ne sait exactement combien il y a d'eau au Québec. Tout ce qu'on sait avec certitude, c'est qu'on n'en a jamais manqué. Tout le monde fait comme si les réserves étaient illimitées et l'eau continue d'être gratuite pour la grande majorité des entreprises.

Les entreprises qui embouteillent de l'eau, dont les plus importantes sont des multinationales, ont des permis qui leur permettent de capter 1 million de mètres cube d'eau souterraine par jour.

«C'est un maximum, précise Daniel Gagné, de l'Association des embouteilleurs d'eau du Québec, la quantité pompée est bien inférieure à ça.»

Les entreprises des pâtes et papier, de loin les plus grandes consommatrices au Québec, utilisent chaque année près de 600 millions de mètres cube d'eau puisée dans les cours d'eau de la province.

Il faut entre 20 et 75 mètres cube d'eau pour produire un tonne de papier, précise Pierre Vézina, du Conseil de l'industrie forestière du Québec. L'usine de Domtar à Windsor, par exemple, peut produire 620 000 tonnes de papier par année.

Un terrain de golf de taille moyenne utilise 4400 mètres cube d'eau par saison pour garder son gazon vert. Comme il y a 325 terrains de golf au Québec, ça fait au moins 1,4 million de mètres cube qui sert à l'arrosage.

Un petit centre de ski comme Mont Saint-Bruno, a besoin de plus de 125 000 mètres cube d'eau pour fabriquer la neige qui tombe de moins en moins sur ses pentes pendant un hiver moyen. Il y a environ 80 stations de ski au Québec.

La brasserie Labatt, pompe entre 3 et 5 millions de mètres cube par année pour brasser sa bière et laver ses bouteilles vides. La transformation des aliments est aussi une très grande consommatrice d'eau, quoique son utilisation soit difficile à chiffrer. Il a été impossible, par exemple, de savoir combien Olymel consomme d'eau pour abattre et préparer ses poulets et ses jambons.

L'eau a beau être un bien public, les données précises sur la consommation totale d'eau par industrie sont inexistantes ou alors tenues confidentielles pour des raisons de concurrence, comme sur le territoire de la ville de Montréal.

Le ministère de l'Environnement du Québec estime que la consommation de tous les résidents du Québec est égale à 1712 millions de mètres cube par année, et celles de l'industrie à 996 millions de mètres cube par année, sans compter les usines installées à Montréal.

Des 996 millions de mètres cube engloutis par l'industrie, 69% le sont par le secteur des pâtes et papiers, 21% par la métallurgie et 10% par les autres secteurs d'activités.

La majorité de ces grands utilisateurs d'eau au Québec ne paient rien ou presque rien pour l'accès à la ressource.

À Montréal, par exemple, l'eau est tarifée pour une quinzaine d'entreprises et certaines d'entre elles doivent payer des redevances sur les eaux usées qu'elles rejettent dans le fleuve.

Mais les sommes ainsi perçues sont bien inférieures aux coûts encourus par la ville pour traiter l'eau du fleuve et produire de l'eau potable, reconnaît Réjean Lévesque, gestionnaire à la ville de Montréal.

La tarification de l'eau rapporte 31 millions à la ville, qui doit investir entre 300 et 500 millions par année dans la production, le traitement et l'entretien de son réseau d'aqueduc.

En 2002, la ville a créé le Fonds de l'eau pour réduire le gaspillage d'eau potable et les coûts associés à la gestion de l'eau. Les élus municipaux ont écarté l'installation de compteurs d'eau dans les résidences, qui exigerait un investissement trop élevé et générerait des économies jugées minimes.

Par contre, 30 000 compteurs doivent être installés dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels pour mesurer la consommation et éventuellement, imposer des tarifs à la consommation. L'objectif de la ville est d'autofinancer la gestion de l'eau dans quatre ans, en 2013.

Pour pouvoir gérer l'eau, il faut d'abord pouvoir la mesurer. Pendant que les gouvernements tentent d'organiser la gestion de l'eau, des entreprises profitent du vide actuel.

D'autres prennent les devants et ont commencé à s'inquiéter des risques liés à l'accès à une eau de qualité pour la poursuite de leurs activités.

C'est le cas de Petro-Canada et d'Alcan, qui ont accepté d'utiliser un nouvel outil, le Global Water Tool créé par le World Business Council for sustainable development (WBSCD) afin de mesurer, comparer et qualifier leur consommation. Au cas où l'eau viendrait à manquer.