Il y a des succès et des ratés dans le traitement des plaintes pour harcèlement psychologique. Voici un résumé des grandes lignes.

Il y a des succès et des ratés dans le traitement des plaintes pour harcèlement psychologique. Voici un résumé des grandes lignes.

Côté succès

Beaucoup de plaintes réglées

«La Loi a donné aux non-syndiqués la possibilité de porter plainte pour des atteintes à leur dignité, à leur intégrité et à leur santé en toute confidentialité. Elle leur permet d'exercer un recours auprès d'un tribunal spécialisé en matière de travail avec le support d'avocat payés par l'État », explique Me Robert Rivest, directeur aux affaires juridiques du bureau de Montréal de la Commission des normes du travail.

Avant juin 2004, les non-syndiqués lésés devaient intenter des poursuites devant les tribunaux civils, à leurs frais. Coûts: entre 40 000 et 100 000 $.

Selon Me Rivest, le règlement de plus de 80 % des plaintes avant le tribunal est un autre argument en faveur de l'expérience québécoise. « Avant, les non-syndiqués se présentaient à la CNT après avoir été congédiés ou réclamaient des prestations de la CSST. Maintenant, 50 % des plaignants sont encore au travail », précise-t-il.

«En affirmant le droit des salariés à un environnement de travail sain et en veillant au respect de ce droit, le Québec a pris les moyens pour réduire le stress et la détresse psychologique et les coûts énormes qui y sont associés », poursuit-il.

Il fallait sévir

«C'est un progrès nécessaire. Les victimes de harcèlement vivent un enfer et il faut vraiment leur donner un recours juridique spécifique », affirme Me François Hamelin. Cet arbitre du travail n'a pourtant, à ce jour, rendu aucune décision favorable aux plaignants dans des cas où le harcèlement est invoqué.

«Mon rôle est de déterminer si les faits présentés devant moi répondent à la définition de harcèlement psychologique adoptée par le législateur. Bien sûr, ces faits peuvent révéler des problèmes majeurs de gestion, des manques flagrants de respect ou des conflits interpersonnels importants. Mais ce n'est pas mon mandat de faire des recommandations sur la gestion des entreprises », explique-t-il.

Moins d'incivilités

Me Francine Lamy, du cabinet Grondin Poudrier, déplore que le harcèlement soit devenu un concept fourre-tout, mais elle fait malgré tout un bilan globalement positif des modifications de 2004.

«Les organisations se questionnent plus sur leurs comportements. La norme de civilité est en train d'être haussée. Les professionnels, tant du côté patronal que syndical, comprennent mieux le phénomène et savent mieux composer avec les plaignants.»

Des interventions précoces

Le Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement au travail salue également les modifications législatives. « Le Québec reconnaît l'existence du harcèlement psychologique et responsabilise les employeurs. Le mécanisme de traitement des plaintes à la CNT permet une intervention précoce, avant que la situation ne dégénère et nécessite le recours aux tribunaux », dit Kristine Doelerleir, intervenante au Groupe d'aide.

Côté ratés

Espoirs déçus

Des quelque 5000 plaintes traitées par la CNT, près de 40 % ont été rejetées ou abandonnées pour des motifs administratifs. Près de 25 % des travailleurs se sont désistés.

En bout de piste, devant la Commission des relations de travail, un nombre infime de plaignants ont eu la confirmation qu'ils étaient victimes de harcèlement et obtenu des dédommagements financiers. Tristes victoires. Car aucun tribunal ne peut réparer les dommages moraux subis par les victimes, modifier le comportement des harceleurs et améliorer le climat de travail dans les organisations.

Démonisation des présumés harceleurs

Éric Gosselin, professeur en psychologie du travail à l'Université du Québec en Outaouais, s'inquiète pour sa part de la démonisation des présumés harceleurs.

Dans certains cas où il a agit comme enquêteur, Éric Gosselin a constaté que ces derniers pouvaient être victimes d'un autre mal du travail: la pression à la performance.

«Certains employeurs se délestent de leur responsabilité en trouvant un coupable. Pour faire de la vraie prévention, il faut questionner le contexte organisationnel. Il offre souvent un terreau fertile au harcèlement », analyse-t-il.

De plus, dans au moins deux causes tranchées par des arbitres du travail, ces derniers ont jugé que les plaignants étaient, dans les faits, les harceleurs.

Confusion des genres

Plusieurs avocats en droit du travail se heurtent à des diagnostics de harcèlement émis par des psychologues. Leur client devient alors convaincu qu'il gagnera devant les tribunaux. L'avocat a beau expliquer que leur cause ne tient pas la route légalement, le désir d'avoir raison devant un juge persiste.

Gaétan Lévesque, avocat chez Rivest Schmidt confie qu'après avoir réglé un dossier à la satisfaction du syndicat et de l'employeur, la plaignante a tenu à tout prix à amener le grief en arbitrage, sous les conseils de sa psychologue.

Me Robert Rivest, de la CNT, commente: «Les psychologues qui prônent une telle thérapie n'ont jamais comparu en cour... C'est très éprouvant.»

Loi ou gestion

«Dans la majorité des cas, les plaignants ont signalé leurs difficultés à leur supérieur, au syndicat ou à des collègues qui ont banalisé leur problème. L'un des grands défis pour les employeurs et les employés consiste à ne pas s'enfermer dans le débat juridique en se demandant si la situation cadre ou non avec la définition qu'en donne la loi (...) », signalait en 2005 le professeur Jean-Pierre Brun, de l'Université Laval.

Plusieurs employeurs se targuent d'avoir donné de la formation et adopté des politiques sur le harcèlement psychologique. Or, tous les experts consultés pour ce dossier conviennent qu'aucune de ces mesures ne peut remplacer une bonne et saine gestion.