Le 15 décembre 1994, la nouvelle surprend le monde des affaires. Canstar Sports, principal fabricant d'équipements de hockey au Canada, est vendu à la multinationale Nike.

Le 15 décembre 1994, la nouvelle surprend le monde des affaires. Canstar Sports, principal fabricant d'équipements de hockey au Canada, est vendu à la multinationale Nike.

Canstar, ce sont les fameux patins Bauer, entre autres. L'entreprise de Montréal est vendue par Icaro Olivieri et sa conjointe pour 546 millions de dollars. Du coup, la transaction enrichit des milliers d'actionnaires en Bourse, mais en particulier les Olivieri, qui empochent 252 millions.

Fin de l'histoire? Pas tout à fait. La Presse Affaires a appris que depuis la transaction, les Olivieri sont à couteaux tirés avec le fisc québécois. Le ministère du Revenu soutient que les Olivieri ont fait une manoeuvre illégale, il y a 11 ans, pour ne pas payer l'impôt provincial sur le gain en capital. Ce gain en capital, estimé à 76 millions, aurait dû rapporter au fisc québécois plus de 7 millions de dollars d'impôts, après diverses déductions.

Depuis 2001, les deux parties s'affrontent devant la Cour du Québec. Ces démarches ont été entreprises par la société de portefeuille des Olivieri, OGT Holdings, en désaccord avec les réclamations du fisc, transmises en 1997 et 1998.

Or, voilà que la Cour vient de rendre son jugement, le 29 juin 2006, et donne entièrement raison au ministère du Revenu. Selon le juge Antonio De Michele, les Olivieri ont fait de l'évitement fiscal abusif.

16 millions dus au fisc

Dans le jugement, le gain de Revenu Québec n'est pas mentionné, mais normalement, avec les intérêts composés, les Olivieri devraient aujourd'hui plus de 16 millions au gouvernement. C'est sans compter les pénalités dans un tel cas, qui peuvent atteindre 50 % de l'impôt éludé.

Le juge a retenu la thèse de Revenu Québec. À l'époque, la manoeuvre fiscale respectait à la lettre la loi sur les impôts, mais était contraire à son esprit, selon le jugement.

Or, le gouvernement avait justement une règle générale anti-évitement pour empêcher ce contournement. C'est la première fois que Revenu Québec plaide et gagne une cause en vertu de la règle anti-évitement, pourtant adoptée en 1988!

Les Olivieri ne sont pas les seuls à avoir utilisé le stratagème. À l'époque, il a même été baptisé le Quebec Shuffle (faux-fuyant québécois). Plusieurs entreprises du Québec et de l'extérieur y ont eu recours avant que le gouvernement ne modifie sa loi, en décembre 1996. Entre autres, les Jets de Winnipeg ont utilisé l'échappatoire lorsque l'équipe de hockey a été vendue en 1995.

Essentiellement, le stratagème joue sur la différence qui existait entre les régimes d'imposition du Québec et du fédéral. À l'époque, une entreprise pouvait déclarer son gain en capital au fédéral au moment d'une transaction, mais le reporter au Québec.

Pour éviter l'impôt du Québec, l'entreprise n'avait qu'à déménager dans une autre province, après coup.

Ce faisant, l'entreprise pouvait également éviter l'impôt de la province d'accueil.

En effet, dans la province d'accueil, on se fiait aux données fédérales pour calculer le gain en capital et donc l'impôt à payer. Comme la valeur déclarée de l'entreprise au fédéral était élevée et avait donné lieu à un impôt, l'on jugeait qu'aucun impôt provincial n'était dû.

Le stratagème des Olivieri serait semblable. En 1995, les trois sociétés de portefeuille des Olivieri ont déménagé en Ontario, après la transaction avec Nike. Elles ont ensuite été fusionnées pour former OGT Holdings, une entreprise incorporée dans les Territoires du Nord-Ouest. Avec la fusion, les actions d'origine des trois sociétés ont été annulées, ce qui a eu pour effet d'éviter l'impôt provincial sur le gain en capital, selon le juge De Michele.

Pour Revenu Québec, la partie n'est toutefois pas encore gagnée. Les Olivieri ont fait appel le 31 juillet. Dans sa requête, l'avocat Denis Lapierre fait valoir que le juge De Michele a erronément conclu que la fusion pour former OGT a comme conséquence l'évitement de l'impôt.

En outre, il estime que le report de l'impôt au Québec est devenu un problème ontarien, puisque les entreprises en cause ont déménagé en Ontario. Ce serait donc à l'Ontario de réclamer un montant.

" Le contribuable a utilisé la loi de l'impôt en toute légalité, mais Revenu Québec utilise la règle anti-évitement pour l'en empêcher. C'est une situation très injuste et arbitraire ", plaide Denis Lapierre, l'avocat d'OGT Holdings.

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