On pourrait les appeler des potiches. Mais soyons un peu plus poli et parlons plutôt de leaders qui font de la figuration.

On pourrait les appeler des potiches. Mais soyons un peu plus poli et parlons plutôt de leaders qui font de la figuration.

J. Frank Brown, doyen du prestigieux Institut européen d'administration des affaires (Insead), utilise plutôt l'acronyme anglais LINO, pour Leaders in Name Only.

Ce natif du New Jersey a travaillé près de 30 ans chez PricewaterhouseCoopers avant de prendre la tête de l'Insead l'an dernier. De petits et de grands chefs d'entreprise, il en a donc croisé quelques-uns.

Combien de LINO dans le lot? Un sur quatre, répond-il. Vingt-cinq pour cent de nos dirigeants, ceux qui ont parfois des titres longs comme ça, sont donc de vulgaires potiches, selon lui.

«Un LINO, c'est quelqu'un que ne possède pas les qualités liées au leadership. C'est une de ces personnes qui ont un poste, qui sont heureuses comme tout de l'avoir obtenu et qui veulent le garder aussi longtemps que possible»

Et quelles sont donc ces qualités liées au leadership? La plus importante, dit-il, c'est de savoir communiquer. Une communication qui va dans les deux sens, celui où on sait donner des directives, mais aussi celui où un leader est prêt à entendre des points de vue différents du sien.

«Ces gens qui s'entourent de béni-oui-oui ne sont pas intéressés à changer les choses. Tout ce qu'ils souhaitent, c'est de garder leur emploi. Et ça tend à créer des organisations isolées, qui n'ont pas vraiment de stratégie de croissance.»

Mais écouter peut aussi être déroutant, dérangeant. Et ça prend des nerfs d'acier pour être capable de se faire dire qu'on n'a peut-être pas la bonne solution.

«Oui, concède M. Brown, mais je crois que c'est aussi plus agréable (more fun) de gérer de cette façon.»

Du fun! Les employés doivent aussi en avoir en soumettant leurs idées, leurs critiques. Et si elles ne sont jamais prises en considération, «éventuellement, on doit partir. Si c'est une fois ou deux, on n'en fait pas tout un plat. J'ai fait des suggestions qui n'étaient pas justes non plus...»

Le gestionnaire devenu doyen était de passage dans les bureaux de Power Corporation (propriétaire de La Presse) jeudi, le temps d'une activité de financement. Le temps aussi de parler de son livre, qui sera lancé lundi à New York, The Global Business Leader, Practical Advice for Success in a Transcultural Marketplace.

Sur un ton qui n'a rien de professoral, il explique que la peur d'avoir tort est le pire des défauts de quelqu'un qui occupe un poste de direction.

«Il y aura toujours des gens critiques face à vos décisions. La personne que vous devez licencier ou rétrograder ne sera jamais votre supporteur, mais laisser quelqu'un qui ne fait pas le travail à son poste vous rendra moins productif et vous fera perdre le respect du reste de l'équipe», écrit-il.

Un de ses constats: les mauvais dirigeants gèrent de mauvaises entreprises. Ou, à tout le moins, des entreprises qui deviendront mauvaises. Et seront la cible d'offres d'achat hostiles.

«Quand on cherche une cible d'achat, on cherche des marques qui sont sous-développées. On cherche des bassins de talents qui n'ont pas été motivés», dit celui qui a quitté PricewaterhouseCoopers l'an dernier.

C'est tout le principe d'un achat adossé (leverage buyout ou LBO), explique-t-il: prendre une marque sous-utilisée et la faire grandir plus rapidement que ne le font les dirigeants en place. Si les leaders exerçaient un réel leadership, l'acquisition ne serait pas rentable.

À voir la rapidité avec laquelle de grandes entreprises canadiennes sont passées à des mains étrangères cette année, il y a de quoi s'interroger sur les qualités de leadership ceux qui les ont dirigées...

- Il y a un peu de ça là-dedans.

- Beaucoup?

- Oui.

Le leadership

Une recherche sur le site de la librairie Chapters avec le terme leadership donnait hier... 15 112 livres disponibles! Il y en a même un intitulé Lead like Jesus, c'est tout dire.

Dans ces conditions, le comptable du New Jersey n'a-t-il pas perçu un surplus d'offre face à une trop faible demande?

D'abord, dit-il, ce sont ses amis chez PWC qui lui ont demandé de laisser un document en partant. Et puis, il y a peu de livres qui parlent de leadership au sein des entreprises transculturelles, les multinationales.

Son livre, d'à peine 120 pages, se veut une ode à l'ouverture d'esprit, à celui qui voyage. Il est truffé d'anecdotes qui ont comme racine la mauvaise connaissance d'une autre culture.

Frank Brown n'a jamais été directeur d'hôtel. Et c'est sans doute mieux comme ça. Il aurait eu de la difficulté à concilier profits intéressants provenant du service aux chambres... et le fait de savoir que plein de gens d'affaires ne sortent jamais de leur cinq étoiles!

«Regardez les factures du service aux chambres! , s'exclame-t-il. Il y a des gens qui passent des fins de semaine à l'étranger et qui ne sortent pas de leur chambre, soit parce qu'ils ont peur, soit parce qu'ils veulent rester branchés à leur ordinateur. Ma philosophie, c'est toujours d'aller voir les gens.»

D'après ce qu'il a observé au cours des 30 dernières années, ses compatriotes seraient les pires dans le genre. Pas seulement les Américains, mais les Anglo-Saxons dans leur ensemble.

«Cela dit, les Australiens sont très aventuriers. On peut croire que c'est parce qu'ils ont été pris dans une petite île avec des moutons pendant si longtemps qu'ils veulent expérimenter autre chose...»

S'il n'en tenait qu'à lui, le principe australien du «gap year», année pendant laquelle les jeunes se forment par le voyage, devrait être généralisé.

«Avec l'espérance de vie qui allonge, on devrait être un peu moins pressé d'amorcer sa carrière. Si j'avais à recommencer, je pense qu'à 18 ans, je prendrais une année ou deux pour décider de ce que je veux faire.»