Au fond du tiroir, quelques billets à l'effigie de George Washington, résultat d'une virée printanière à New York. Des euros, en souvenir des dernières vacances d'été en Italie. Des yens, obtenus au cours d'un voyage d'affaires à Tokyo.

Au fond du tiroir, quelques billets à l'effigie de George Washington, résultat d'une virée printanière à New York. Des euros, en souvenir des dernières vacances d'été en Italie. Des yens, obtenus au cours d'un voyage d'affaires à Tokyo.

Les investisseurs n'ont pas tous besoin de faire le tour du monde afin de transformer leur bureau en bureau de change. Ils n'ont qu'à transiger leurs économies sur le marché des devises.

À condition d'avoir les nerfs solides.

«Ce n'est pas un marché d'investissement mais de spéculation, dit André Sévigny, cambiste senior responsable du marché des devises chez Desjardins. C'est le marché le plus volatile au monde. Il faut être un investisseur aguerri pour prendre ce genre de risques. Il faut être conscient qu'on peut perdre tout son argent.»

Comme tout marché spéculatif, le jeu en vaut parfois la chandelle. «Les particuliers qui transigent des devises le font surtout par spéculation mais toute spéculation n'est pas mauvaise. Les devises sont un actif alternatif qui a un bon effet de diversification dans un portefeuille et un effet de levier considérable», dit Christian Dupont, négociateur-représentant et spécialiste du marché des devises au bureau montréalais de la Société Générale, une banque française.

Un effet de levier qui transforme assurément des petits épargnants en millionnaires... pour un certain temps!

Comme les devises varient à l'intérieur d'un écart de quelques centièmes de cent, les investisseurs n'ont qu'à garantir de 1% à 2% de leurs investissements.

Une somme de 10 000 $ US permet de détenir 1 M$ US sur les marchés. Mais l'illusion ne dure pas éternellement. À la vente, l'épargnant n'encaisse que son gain – ou sa perte. Et son million s'évapore.

Les devises sont le marché le plus important au monde, loin devant les actions et les obligations. La raison est fort simple: toutes les transactions internationales nécessitent l'achat de devises.

Selon la Banque des règlements internationaux, le marché des devises représente 1880 milliard $ US par jour.

Le dollar américain est la devise la plus populaire. Selon les chiffres les plus récents, qui datent d'avril 2004, les parts de marché du dollar américain atteignent 88,7 points sur 200.

Suivent ensuite l'euro (37,2 points), le yen (20,3 points) et la livre sterling (16,9 points). Le dollar canadien vient au septième rang (4,2 points).

Au Canada, la valeur des transactions sur le marché des devises atteint 48,0 milliards $ US chaque jour, selon l'étude la plus récente du Conseil canadien du marché des changes, réalisée en octobre 2006.

Sans le savoir, des millions de Québécois jouent sur le marché des devises en achetant des actions de sociétés étrangères.

Ils doivent alors faire un choix: investir en dollars canadiens ou en devises étrangères. «Si un investisseur achète des actions européennes et croit que l'euro va s'apprécier par rapport au dollar canadien, il est mieux d'acheter ses actions en euros pour profiter de l'appréciation de cette devise», dit M. Sévigny.

Le contraire est aussi vrai: un investisseur dont les actions européennes détenues en dollars canadiens sont en hausse de 10% voit son gain s'annuler si l'euro s'apprécie de 10% par rapport au dollar canadien.

Les investisseurs qui n'ont pas froid aux yeux ne font pas que choisir la devise de leurs placements étrangers. Ils investissement dans la devise elle-même. Ils ont accès à trois véhicules d'investissement: les options sur devises, les contrats de change à terme et les spéculations sur séance (daytrading).

Les investisseurs les plus agressifs se tournent vers les spéculations sur séance, qui consistent à acheter et vendre des devises par le biais de maisons de courtage en ligne, au même titre que des actions.

«L'industrie est en évolution constante depuis la création de l'euro en 1999, dit Marc Prosser, directeur du marketing de la société new-yorkaise Forex Capital Markets, qui gère le site de courtage en ligne www.fxcm.com. Nos clients sont des spéculateurs qui connaissent le marché. Si vous cherchez à protéger vos économies, le marché des devises n'est pas pour vous. Mais si vous êtes un investisseur agressif qui cherche des rendements élevés à court terme, c'est l'environnement idéal pour un spéculateur car il n'y a pas de commissions et le marché est ouvert 24 heures par jour durant la semaine.»

Pour investisseurs studieux

Le marché des devises est la chasse gardée des investisseurs les plus studieux. Ces derniers doivent décortiquer les deux parties à une transaction. C'est un peu comme si les détenteurs d'actions ne pouvaient s'en départir qu'en les échangeant contre des actions d'une autre société.

«Tout ce qui se passe dans les deux pays impliqués doit être pris en considération, dit André Sévigny. C'est un marché risqué qui demande beaucoup de temps et de rigueur. Un investisseur doit absolument s'établir des balises et ne pas en déroger.»

Selon le Fonds monétaire international, 194 monnaies sont en circulation dans le monde. Mais la plupart des courtiers se limitent aux devises de l'Union européenne, des États-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne, de la Suisse, de la Suède, de la Norvège, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Comme à la Bourse, deux théories permettent d'anticiper le marché des devises: l'analyse technique, basée sur l'évolution d'une devise dans le temps, et l'analyse fondamentale, basée sur la conjoncture économique du pays (l'inflation, les taux d'intérêts, la croissance économique, le taux de chômage, etc.).

Les investisseurs qui croient encore que le prix des devises reflète le pouvoir d'achat des consommateurs d'un pays à l'autre – l'exemple le plus célèbre: l'indice Big Mac – risquent d'avoir des mauvaises surprises.

«La théorie selon laquelle les devises doivent refléter le niveau des prix dans deux pays différents ne fonctionne pas, dit M. Dupont. En fait, elle fonctionne, mais il faut parfois attendre des années avant qu'elle donne les résultats escomptés. Comme la plupart des investisseurs sur le marché des devises placent leur argent à court terme, l'indice des prix n'est d'aucune utilité.»

Tous les cambistes l'avoueront sans gêne: la fluctuation des devises est plus difficile à prévoir que celle des actions.

«Les investisseurs se fient à l'évolution des taux d'intérêts pour acheter des obligations et aux bénéfices futurs d'une entreprise pour acheter ses actions, dit M. Dupont. Or, le marché des devises n'a pas de points de repère aussi faciles à analyser.»

Pourquoi partir à l'aventure dans un marché volatile et difficile à déchiffrer? Pour éviter certains désagréments du marché boursier. «Les informations privilégiées sont beaucoup plus rares, dit M. Dupont. En plus, il n'y a pas de gens malveillants qui camouflent leurs états financiers. Par contre, il est possible d'avoir une surprise d'une banque centrale, qui prévoyait une croissance économique intéressante et qui annonce soudainement une baisse de la croissance.»

Au fond, la recette est la même qu'à la Bourse: battre le marché. «Toutes les données économiques sont analysées instantanément par le marché, reconnaît M. Dupont. Mais les analystes ne les regardent pas toutes de la même façon. Parfois, un facteur a été suranalysé. Un investisseur essaie de battre le consensus.»