Le réseau ferroviaire français, longtemps vu comme un des fleurons de l'État, passera-t-il à moyen terme sous le contrôle du secteur privé?

Le réseau ferroviaire français, longtemps vu comme un des fleurons de l'État, passera-t-il à moyen terme sous le contrôle du secteur privé?

C'est la crainte que manifeste le milieu syndical à la suite de l'annonce, il y a quelques jours, du lancement d'un processus d'appel d'offres «historique» devant mener à la construction d'un tronçon de 300 kilomètres d'ici 2016. Il doit permettre aux trains à grande vitesse de relier Paris à Bordeaux en deux heures plutôt que trois.

L'entreprise gagnante, qui sera choisie en 2008, assumera «la conception, la construction, l'entretien... et le financement du projet à ses risques». Il disposera, en contrepartie, des «recettes produites par l'exploitation de la ligne», indique Réseau ferré de France (RFF), société publique propriétaire du réseau utilisé par la Société nationale des chemins de fer (SNCF).

Dans les faits, la SNCF devra payer une redevance à chaque fois que l'un de ses trains utilisera le tronçon en question sur une période d'une quarantaine d'années. Les infrastructures seront ensuite cédés à l'État.

RFF estime que ce «partenariat public-privé», qui rappelle le modèle vanté au Québec par les libéraux de Jean Charest, constitue une voie d'avenir pour répondre, sans trop peser sur les ressources de l'État, à la demande de développement de tronçons à grande vitesse.

Une vingtaine de projets, nécessitant des investissements de 40 milliards d'euros, sont actuellement à l'étude.

Ces investissements sont d'une telle importance que les «financements publics traditionnels ne peuvent pas y faire face», souligne RFF, qui a été autorisé par une loi adoptée en janvier 2006 à faire appel aux partenariats avec le secteur privé.

«Le recours aux PPP permet d'étaler la subvention des pouvoirs publics sur la durée de vie du projet alors que dans le cadre d'une maîtrise d'ouvrage publique, ces financements sont apportés sur la seule période de construction», souligne le directeur financier de RFF, Patrick Persuy, qui se réjouit de pouvoir compter sur «le savoir-faire technique et financier d'opérateurs privés».

Son enthousiasme n'est pas partagé par Sud-Rail, un important syndicat de cheminots, qui craint de voir le réseau ferroviaire se morceler et passer graduellement dans la sphère privée «comme ce fut le cas en Grande-Bretagne».

«Les infrastructures de transport public sont pleinement du domaine de compétence de l'État», souligne Stéphane Leblanc, membre du bureau fédéral du syndicat.

L'initiative de RFF s'inscrit dans une «politique de libéralisation» du réseau ferroviaire qui se poursuit depuis 10 ans et qui est en voie de s'accélérer, déplore le syndicaliste, qui craint de voir les entreprises privées rogner sur la qualité et la sécurité pour maximiser leur rentabilité à court terme.

La CGT, autre syndicat important dans le secteur ferroviaire, parle pour sa part de «privatisation larvée» et craint de voir les entreprises forcer la main à l'État pour imposer des redevances qui feront monter le coût des billets de train.

Bien qu'il s'agisse à toutes fins utiles d'une première pour le réseau ferroviaire, le recours aux partenariats public-privé est depuis longtemps monnaie courante dans le secteur des transports en France.

Le spectaculaire viaduc de Millau a été construit sur la base de ce modèle économique. Le secteur privé joue par ailleurs un rôle de premier plan dans le secteur routier depuis des dizaines d'années.

Des milliers de kilomètres d'autoroutes sont en effet gérées par des firmes privées, qui imposent des péages aux utilisateurs pour récupérer leur investissement, le plus souvent sur une période d'une quarantaine d'années. Il en coûte par exemple une trentaine d'euros pour aller du sud-ouest de la France jusqu'à Paris.

L'État français a vendu il y a quelques années ses parts dans les trois plus grandes compagnies du secteur, générant une somme de 14 milliards d'euros.

L'opération, contestée en vain devant les tribunaux par l'élu centriste François Bayrou, s'est finalement réalisée dans «l'indifférence générale», se félicite la porte-parole de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA), Laurence Guillerm.

Stéphane Leblanc, de Sud-Rail, souligne qu'il est difficile de mobiliser la population sur les dossiers de privatisation. «Très peu de gens sont informés», déplore-t-il.