Des petites biotechs naissent, grandissent et meurent. De nouvelles idées voient le jour, fertilisées par les cendres des succès passés. C'est le cycle des sciences de la vie. Et Biochem Pharma en est l'archétype même.

Des petites biotechs naissent, grandissent et meurent. De nouvelles idées voient le jour, fertilisées par les cendres des succès passés. C'est le cycle des sciences de la vie. Et Biochem Pharma en est l'archétype même.

Dans son petit bureau de Virochem Pharma, Gervais Dionne a accepté de raconter à La Presse la légende qui fait rêver les patrons de petites biotechs au Québec. Celle de Biochem Pharma, créateur du 3TC, le médicament anti-sida le plus prescrit actuellement dans le monde.

Fondée en 1986 par Francesco Bellini, feu Bernard Belleau et lui-même, la jeune entreprise a dû lutter pour obtenir du financement alors que le concept de biotechnologies était lui-même en incubation. " Nous nous sommes fait dire non par les deux paliers de gouvernement sous prétexte qu'on était en compétition avec les grandes multinationales pharmaceutiques et qu'on n'avait aucune chance ", explique le docteur Dionne. Finalement, c'est le programme de régime épargne action (REA), établi en 1979 sous l'impulsion de Jacques Parizeau (et aujourd'hui aboli) qui leur a permis d'aller chercher 13 millions de dollars auprès des petits épargnants pour lancer leur projet.

Durant les trois années suivantes, les chercheurs terminaient leur travail sur la lamivudine, une molécule qui empêche la transcription de l'ARN viral en ADN par la machinerie cellulaire. Ce faisant, elle réduit considérablement la prolifération du VIH dans le corps humain. L'extrême puissance de ce composé est immédiatement corroborée par le laboratoire de Mark Wainberg à l'Université McGill puis par le National Cancer Institute américain.

" À ce moment, on s'est rendu compte que ça devenait trop gros pour nous, explique l'éminent chercheur. On sentait qu'il y avait un gros potentiel mais si on voulait que la molécule aille sur le marché ça nous prenait beaucoup plus de muscles. " Pour s'assurer des ressources financières et humaines nécessaires à la poursuite du projet 3TC, la PME québécoise s'est alliée avec Glaxo-Smith-Kline. À un coût que Gervais Dionne estime entre 300 et 400 millions de dollars, la multinationale s'est chargée de réaliser toutes les études cliniques et conservait tous les droits de commercialisation du produit. En échange, Biochem Pharma recevait le contrôle du marché canadien et une royauté de 12 à 15% des ventes mondiales qui atteignent aujourd'hui 1,5 milliard annuellement. De nos jours, des royautés aussi généreuses sont difficiles à obtenir des grandes pharmas, note Gervais Dionne.

Fin abrupte et nouveaux départs

L'année 2001 mettait fin à l'épopée de façon spectaculaire. La société britannique Shire Pharmaceuticals, acquiert le droit de percevoir les royautés de Biochem Pharma pour 6 milliards de dollars. Ce prix extrêmement élevé se justifie notamment par la surprenante jeunesse des brevets sur un produit aussi éprouvé que le 3TC. Ceux-ci devraient encore rester en vigueur jusqu'en 2012 environ.

En juillet 2001, à peine quelques mois après l'acquisition, Shire Pharmaceuticals annonçait la fermeture de toute activité de recherche chez Biochem Pharma aux suites d'un important programme de restructuration. L'entreprise québécoise comptait alors 500 employés dans la région de Montréal. Dès septembre, tout le monde était licencié et les projets en cours - notamment sur l'hépatite B - étaient mis sur la glace indéfiniment. " Ça m'a révolté. Démanteler une telle équipe, que j'ai mis 15 ans à monter, ça n'a pas de sens ", lance Gervais Dionne.

Dans une dernière tentative pour sauver les meubles, il négocie avec Shire pour obtenir la propriété intellectuelle sur les projets en cours et fonde ViroChem, avec de l'équipement racheté à rabais des installations de Biochem et une cinquantaine des employés éconduits. Francesco Bellini fait de même et fonde Neurochem, qui conduit actuellement les essais cliniques en phase III de son nouveau médicament contre l'Alzheimer.

Des centaines d'autres ex-employés de Biochem Pharma, plusieurs sont aujourd'hui des gestionnaires influents dans le milieu pharmaceutique québécois.

" Notre principal actif chez Biochem Pharma, c'était les employés, insiste Gervais Dionne. Pour eux et pour nous, ça a été la meilleure école. "

Et si c'était à refaire? L'engouement pour les sciences de la vie à Montréal peut être en grande partie attribuée au succès phénoménal de Biochem Pharma. La position envieuse de la métropole sur la scène biotechnologique internationale l'est aussi. Et pourtant, selon Gervais Dionne, les conditions d'aujourd'hui seraient moins propices à l'éclosion des petites Biochem-en-devenir. " Si on arrivait avec l'idée du 3TC aujourd'hui, on se ferait dire non par les investisseurs en capital-risque c'est certain, explique-t-il. Ceux-ci ne financent pas assez les entreprises en démarrage au Québec. Et au moins nous, nous avions les REA."