Le prix des aliments continue d’alimenter les discussions à Ottawa. Jeudi matin, le grand patron de Loblaw (Maxi et Provigo) s’est présenté en défenseur des consommateurs en annonçant à un groupe d’élus quelles actions concrètes avaient été prises cet automne pour alléger leur facture d’épicerie. Très bien préparé, comme d’habitude, Galen Weston a déballé une série de chiffres et d’exemples précis qui l’avantageaient.

Il a confirmé que les prix de « 35 aliments essentiels qui se retrouvent dans presque tous les paniers » ont été réduits « significativement ». On n’a malheureusement pas su l’ampleur des baisses, mais quatre exemples ont été évoqués : le lait, le beurre, les œufs et le poulet. Ce groupe d’aliments représente 10 % des ventes de Loblaw, a précisé Galen Weston sans indiquer l’impact de cette stratégie sur ses profits.

M. Weston a ensuite parlé… du cas très pointu des pilons de poulet. Dans les deux dernières semaines, leur prix de détail moyen a été inférieur de 4 % à celui de 2019, même si le prix coûtant a bondi de 30 %. Les esprits tordus se demanderont sans doute si cette coupe de viande n’a pas été promue dans la circulaire à 1,88 $ la livre expressément pour créer un exemple favorable devant le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le président de Loblaw, Galen Weston

On a aussi appris que les supermarchés à bas prix comme Maxi vendaient « toujours » certains aliments comme les bananes, le sucre et le lait en dessous de leur prix coûtant. Hélas, personne n’a demandé à l’invité de fournir de plus amples renseignements.

Galen Weston a ensuite rappelé que Loblaw était le seul détaillant en alimentation à offrir un programme d’égalisation des prix avec ceux de la concurrence. Depuis seulement deux mois, cela a permis à ses clients d’économiser 38 millions de dollars. Chaque année, 10 millions de Canadiens demandent une réduction de prix à la caisse en vertu de ce programme.

Le PDG de Metro, Eric La Flèche, a récemment déclaré à TVA et à LCN⁠1 que la convocation à Ottawa des grandes chaînes de supermarchés et de leurs fournisseurs en septembre n’avait rien changé pour les consommateurs. Le gouvernement prétend l’inverse, a noté le député du Nouveau Parti démocratique Alistair MacGregor en demandant à Galen Weston de quel bord il se rangeait. « Dans notre cas, cette rencontre s’est soldée par une réduction significative de prix pour 35 aliments », a-t-il répondu. Il aurait été intéressant de savoir si d’autres prix avaient été gonflés pour compenser, une tactique qui s’est déjà vue dans l’industrie.

J’ai demandé à Loblaw de me fournir la liste précise de ces « 35 aliments essentiels » aux prix réduits, mais on ne me l’a pas transmise. On m’a cependant précisé que les 35 produits seraient différents d’une semaine à l’autre. Et comment se fait-il que cette mesure ne soit pas annoncée en grande pompe comme on l’avait fait pour le gel de prix de 1500 produits Sans nom ? « Nous devons demeurer prudents et respectueux des règles en matière de concurrence », m’a répondu la porte-parole Johanne Héroux.

Veut-on éviter les critiques, les commentaires sarcastiques et suspicieux sur les réseaux sociaux et dans les tribunes téléphoniques à la radio ?

À l’automne 2022, le gel de prix avait été drôlement accueilli. Il s’agissait pourtant de la seule initiative anti-inflation d’une grande chaîne et d’une rare bonne nouvelle en matière de prix. Ce n’était pas la mer à boire, certes, mais c’était mieux que rien.

Il faut dire que les consommateurs ont perdu confiance dans les entreprises du secteur alimentaire, ce qui teinte leur jugement. « Il y a un sentiment généralisé selon lequel les épiciers réalisent des profits excessifs et exploitent les tendances inflationnistes », indique d’ailleurs le Rapport sur les prix alimentaires au Canada 2024 rédigé par des experts de quatre universités et dévoilé jeudi matin⁠2.

En ce qui concerne le fameux code de conduite que le Canada tente de faire adopter volontairement par l’industrie pour assainir les relations entre les supermarchés et les fournisseurs, Galen Weston a expliqué qu’il n’était pas contre le principe. Mais il refuse de signer le texte actuel, car il serait néfaste pour les consommateurs en provoquant « une augmentation des prix et du nombre de tablettes vides ».

Loblaw craint que le mécanisme de règlement des différends ne favorise toujours les fournisseurs, comme c’est le cas, selon Galen Weston, en Australie. Cela permettrait à des géants « 10 fois plus grands que Loblaw », comme PepsiCo, Nestlé Kraft Heinz ou Procter & Gamble, d’imposer leurs hausses de prix, ce qui se répercuterait ultimement sur le consommateur. « Nous avons refusé 18 % des demandes d’augmentation parce que nous les jugions injustifiées. Le code nous en aurait empêchés », a-t-il dit en précisant que cela aurait coûté 750 millions à ses clients depuis le début de l’an dernier.

Le dirigeant s’est dit « perplexe » que d’autres chaînes comme Sobeys (IGA) et Metro soient confiantes que le code aura plutôt des impacts positifs sur les consommateurs. D’autant plus que le but du code n’est pas d’apaiser l’inflation, mais plutôt les relations entre les différents acteurs du secteur de l’alimentation.

Le Rapport sur les prix alimentaires au Canada 2024 contredit Loblaw à ce sujet.

Depuis 10 ans, le prix des aliments – en ne tenant pas compte de l’inflation – a diminué en Irlande, au Royaume-Uni et en Australie, trois pays qui ont adopté des codes de conduite. Pendant la même décennie, les consommateurs ont dû faire face à des hausses de prix au Canada, en France et aux États-Unis, des pays sans code.

Également convoqué devant le Comité, le président et chef de la direction de Walmart Canada, Gonzalo Gebara, avait très peu de choses à dire et esquivait les questions. Il a simplement répété que le code de conduite n’était « pas acceptable ». Talonné par les élus qui voulaient savoir pourquoi, il a fini par répondre que cela ajouterait de la bureaucratie.

PHOTO FOURNIE PAR WALMART

Le président et chef de la direction de Walmart Canada, Gonzalo Gebara

Exaspéré, le député de Berthier-Maskinongé et vice-président du Comité, Yves Perron, du Bloc québécois, a remis en question l’honnêteté de M. Gebara.

« Vous ne participez pas aux discussions et une fois que le code est presque établi, vous venez comme le saboter en refusant de vous y inclure alors que vous êtes l’un des gros joueurs. Je veux bien croire en votre bonne foi, mais honnêtement, j’écoute les discussions ce matin et il y a un problème de crédibilité. »

Ce n’est toujours pas clair si les menaces d’Ottawa⁠3 ont eu un impact positif sur notre facture d’épicerie, mais ce qui est certain, c’est que malgré trois ans de discussions, l’adoption du code de conduite n’est pas gagnée. Et on n’a pas fini d’en entendre parler.

1. Visionnez un extrait de l’entrevue du PDG de Metro à TVA 2. Consultez le Rapport sur les prix alimentaires au Canada 2024 3. Lisez la chronique « Des menaces pour faire baisser le prix de votre épicerie »