L’imprimante moderne conçue pour la maison est une petite bête fascinante, comme dirait Charles Tisseyre à l’émission Découverte. Connectée à l’internet, elle peut subitement cesser de fonctionner parce que ses cartouches d’encre ont été désactivées à distance, ce qui les rend inutilisables... même si elles sont flambant neuves.

Jusqu’à tout récemment, j’ignorais que ce tour de passe-passe, gracieuseté de l’entreprise HP, était possible. J’imprimais une page ou deux par semaine, sans savoir ce qui me pendait au bout du nez. Un jour, une feuille est sortie de l’imprimante pour me faire une annonce qui me semblait surréaliste. C’était écrit que je ne pouvais plus imprimer étant donné l’absence d’un numéro de carte de crédit dans mon dossier.

Pardon ?

Un appel chez HP m’a confirmé que j’avais bien lu. La dame au bout du fil m’a d’ailleurs suggéré de mettre mes deux cartouches pleines au recyclage et de m’en procurer d’autres.

Pour comprendre l’affaire, il faut savoir que HP propose un système d’abonnement à ses clients appelé Instant Ink. L’appareil étant connecté, on suit votre consommation d’encre à distance et on vous envoie automatiquement des cartouches en fonction de vos besoins. Grâce à cette technologie, on vous promet que vous ne manquerez jamais d’encre au beau milieu de l’impression la plus importante de votre vie.

Instant Ink propose divers forfaits, plus ou moins chers, selon le volume d’impression estimé. L’abonnement étant gratuit pendant les six premiers mois, j’avais choisi d’en profiter. De toute manière, rien n’est vraiment gratuit, le prix du service est inclus dans le prix de vente de l’appareil. Pendant ces six mois, je n’ai reçu qu’un seul envoi de cartouches étant donné mon usage sporadique de l’imprimante. L’encre noire a servi pour un nombre de pages que je peux compter sur les doigts d’une main. Celle contenant des encres colorées n’a pas été utilisée.

Mais je devrai m’en débarrasser, m’a-t-on confirmé, car l’essai de six mois est venu à échéance. Dès lors, les cartouches obtenues pendant la durée de l’abonnement ont été désactivées.

Au diable, l’environnement ! Au diable, le gros bon sens ! Dès que vous quittez son programme, HP vous punit. On dirait une méthode douteuse pour convaincre les clients de payer un abonnement mensuel, ce que j’ai fini par faire uniquement pour éviter de jeter des cartouches pleines.

L’entreprise n’a pas répondu à mes questions. Mais elle a affirmé au média français 01net que son système est logique puisque les clients reçoivent des factures à la page et non à la cartouche. En quoi est-ce préjudiciable pour HP de laisser ses clients terminer des cartouches qu’ils ont déjà installées ?

J’ai contacté les gens d’Équiterre pour savoir s’ils étaient au courant de cette pratique qui provoque du gaspillage et de la surconsommation inutilement. C’était la première fois qu’ils entendaient parler d’un cas de désactivation à distance d’un objet parfaitement fonctionnel.

« Ça illustre les risques associés à l’hyperconnectivité de nos appareils. Les fabricants ont un contrôle qui peut être exercé de manière indue, comme dans ce cas-ci. Empêcher l’utilisation d’un appareil qui se trouve dans une maison, c’est révoltant », a réagi Amélie Côté, analyste en réduction à la source.

Le même genre de tactique dommageable pour l’environnement est utilisé par Tesla, ce qui s’avère encore plus paradoxal étant donné la nature de son seul et unique produit, la voiture électrique.

L’entreprise d’Elon Musk vend à moindre coût des modèles S et X dont les batteries sont moins performantes. L’accélération est plus lente et, surtout, l’autonomie est inférieure d’environ 130 km à celle des modèles plus chers. Le hic, et il est honteux, c’est que les batteries sont identiques ! Tesla choisit d’en verrouiller la capacité avec un logiciel, de sorte qu’elles ne puissent être utilisées qu’à 80 %.

La publication Electrek, qui soupçonnait que Tesla utilisait cette manœuvre, a écrit en août que Tesla lui avait confirmé que c’était bel et bien le cas.

En rendant intentionnellement inutilisables 20 % des batteries de certains modèles, Tesla fait fi de tout le nickel, le cobalt et les autres matériaux aussi coûteux que polluants qu’elles contiennent. En 2023, en pleine crise climatique, on s’attend à mieux. Tous ces composants pourraient servir à créer plus de batteries.

Au moins, dans ce cas-ci, le client n’aura pas de mauvaise surprise en cours de route, comme avec HP. Il sait ce qui l’attend. Mais l’exemple montre à quel point une entreprise est capable, avec la technologie, de « jouer » à distance avec des objets qui nous appartiennent et se trouvent entre nos mains.

Aujourd’hui, ces appareils connectés sont partout. Écouteurs, réfrigérateur, thermostats, machine à café, jardinière, montre, sonnette. Les assistants vocaux comme le Google Nest et l’Echo Dot d’Amazon suscitent des inquiétudes sur le respect de la vie privée depuis leur invention, mais de toute évidence, il faut aussi se méfier des objets sans micro pour d’autres raisons.

On dirait de la fiction, mais non.