Il ne fait pas de doute que le Québec a la capacité financière d’être un État indépendant. Et probablement aujourd’hui plus que jamais, vu la santé relative de nos finances publiques.

Mais il est loin d’être évident que le passage vers l’indépendance se ferait à coût nul, comme l’affirme le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

L’exercice fait par le Parti québécois (PQ) est intéressant, sérieux, mais son objectif est avant tout de faire avancer son option politique. Ainsi, en décortiquant le document, il est possible d’estimer que le déficit de l’an 1 d’un Québec indépendant a été sous-estimé d’environ 10 milliards de dollars par le PQ par rapport à la situation actuelle.

Dit autrement, le déficit prévu par le PQ pour 2023-2024 ne serait pas de 10,2 milliards, comme le présente le PQ, mais plus près de 20 milliards, selon mes observations. Il serait donc cinq fois plus élevé que celui inscrit dans le dernier budget du gouvernement du Québec, soit 4 milliards.

Et mon estimation ne tient pas compte des turbulences économiques qu’entraîneraient nécessairement l’indépendance et ses impacts sur nos finances publiques, comme on l’a vu avec le Brexit anglais.

D’abord, le document du PQ choisit d’omettre deux postes de dépenses qui sont inscrits dans le dernier budget du Québec, sur lequel repose l’exercice. Ainsi, les versements au Fonds des générations ont disparu (2,4 milliards par an), comme la provision pour éventualités (1,5 milliard).

Ce choix peut être justifiable, mais leur inclusion aurait permis de mieux comparer le déficit d’un Québec indépendant à celui du Québec que nous connaissons, publié par le gouvernement en mars dernier.

Autre choix qui a des incidences sur le nouveau déficit : le taux d’intérêt du service de la dette. Au lendemain de l’indépendance, le PQ fait l’hypothèse que sa part de la dette fédérale serait financée au même taux d’intérêt que celui payé par le fédéral, en moyenne (2,28 % en 2021-2022, selon le document).

Or, le Québec a toujours financé sa dette à un taux plus élevé que celle du fédéral. L’écart de taux s’explique par la différence de cote de crédit, celle du fédéral étant de meilleure qualité (AAA contre AA-).

Dans le budget du Québec, il est indiqué que le taux moyen de la dette du gouvernement pour la même période était de 3,06 %. En me basant sur la méthode de calcul du PQ, j’en conclus que le service de la dette d’un Québec indépendant devrait être majoré d’environ 2,3 milliards en 2023-2024.

Bref, pour ces trois postes, il faut ajouter 6,2 milliards au déficit du Québec indépendant du PQ pour le rendre comparable au déficit du budget de mars 2023, ce qui le fait passer à 16,4 milliards.

Ce n’est pas tout. Le PQ a pesé fort sur le crayon concernant l’élimination des chevauchements qui viendraient nécessairement avec le rapatriement de fonctions assumées par le fédéral.

Selon le document, 28 % des 31 milliards de dépenses venant du fédéral seraient ainsi éliminés dans un Québec indépendant, soit 8,8 milliards. Or, en 2005, quand François Legault avait fait l’exercice pour le PQ, cette part était plutôt de 16,9 %, ou 1,9 milliard.

En ramenant les chevauchements au niveau de 2005, les économies fondent de 3,5 milliards, somme qui vient s’ajouter au déficit.

Bref, la sous-estimation du déficit avoisine donc les 10 milliards de dollars, tout compris (6,2 + 3,5).

Le porte-parole du PQ, Louis Lyonnais, justifie ce choix optimiste pour les chevauchements en expliquant que la taille du gouvernement fédéral a bondi de 40 % depuis l’arrivée de Justin Trudeau, en 2015. Entre autres, Revenu Canada est plus gras de 37 % depuis 2020.

Fort bien. Sauf que le PQ ajoute, en parallèle, un autre 2,1 milliards de dollars d’économie tirés de ces chevauchements, qui allègent encore davantage son déficit de l’année 1 de l’indépendance. J’ai conservé cette hypothèse par souci d’équité pour l’exercice.

Louis Lyonnais juge que la suspension totale des versements au Fonds des générations durant les cinq années du cadre financier d’un Québec indépendant est un choix politique qui se justifie. Il donne l’exemple de l’utilisation partielle de ces versements par la Coalition avenir Québec pour baisser les impôts. Ce Fonds inscrit dans une loi, rappelons-le, est destiné à réduire la dette du Québec.

Plus largement, le PQ a conçu son budget de l’an 1 en estimant la part des revenus, des dépenses et de la dette du fédéral qui devrait être attribuée au Québec. Cette part est de 17,6 % pour la dette et de 18,2 % pour les dépenses de programme, entre autres.

Or, le Québec représente 22,4 % de la population canadienne et 19,5 % de son PIB, soit bien davantage1.

En 2005, le budget de l’an 1 de François Legault avait estimé que les parts attribuables au Québec étaient un peu différentes (18,2 % pour la dette et 17,4 % pour les dépenses), mais assez proches, quand même.

Il faut dire que le PQ a repris la même méthodologie cette semaine que celle de François Legault à l’époque ou celle de la commission Bélanger-Campeau, en 1990, qui avait été formée au lendemain de l’échec du Lac Meech2.

Le PQ dit avoir fait corroborer ses estimations par de nombreux spécialistes, dont l’ex-ministre des Finances péquiste Nicolas Marceau, ainsi qu’Antoine Noël, Vincent Geloso, Jean-François Rouillard, Bernard Sinclair-Desgagné et Marc-Antoine Laflamme.

Tout de même, ces écarts de proportion avec ceux du PIB et de la population ne passeraient pas comme une lettre à la poste au fédéral advenant une négociation sur l’indépendance.

Par exemple, la dette à être transférée du fédéral grimperait de 27 milliards en se basant sur notre part du PIB canadien et de 68 milliards en se basant sur celle de la population.

Il ne fait pas de doute que le Québec a la capacité financière d’être indépendant. Après tout, un déficit de 20 milliards n’est pas si lourd sachant qu’il inclurait la part du fédéral. Pas de doute non plus qu’il y aurait des soubresauts économiques importants. La décision de l’indépendance est une affaire de cœur, pas d’argent.

Les Québécois méritent toutefois d’avoir l’heure juste. Et le PQ aurait eu intérêt à accepter que je parle à l’un des experts qui ont fait l’étude, ce qu’il a refusé de faire.

Consultez l’étude du Parti québécois

1. Ces deux ratios ont été calculés pour l’année financière terminée le 31 mars 2022, date de référence de l’étude.

2. Pour les dépenses, cette méthodologie cherche essentiellement à attribuer les dépenses selon la clientèle visée (ici, les Québécois au Québec), plutôt que l’endroit où la dépense est gérée (au Québec ou ailleurs). Pour les revenus, le calcul est plutôt simple (la part des impôts et taxes versés par les Québécois), mais pour la dette, le calcul est fort complexe et se veut le reflet des actifs financiers et non financiers aux livres, notamment, en plus du déficit budgétaire cumulé.