On a beaucoup parlé de l’offre alimentaire des Dollarama depuis qu’une publication virale nous a démontré, photos à l’appui, que le spaghetti Italpasta y était vendu quatre fois moins cher qu’au supermarché. Cet exercice de comparaisons a provoqué une curiosité accrue pour la nourriture vendue dans cette chaîne de magasins et pour son modèle d’affaires.

Pendant ce temps, son concurrent Tigre Géant ne suscitait pas vraiment d’attention ou d’intérêt sur l’internet. La discrète entreprise privée demeurait sous le radar.

Dans ses 265 magasins, toutefois, c’est une autre histoire. Les chasseurs d’aubaines y sont de plus en plus nombreux, et pas seulement pour ses pyjamas ou sa literie abordables. Au Québec, ses ventes de nourriture bondissent de façon importante, ai-je appris, et ce, dans toutes les catégories.

Il faut dire que le détaillant établi à Ottawa mise beaucoup, dans sa circulaire, sur son offre alimentaire. Celle de cette semaine commence par quatre pages entières de légumes, de viandes et de produits surgelés. Quand on sait que 60 % des Canadiens lisent « au complet » les circulaires de « plusieurs magasins », selon la firme d’experts en consommation NIQ (autrefois NielsenIQ), la stratégie de Tigre Géant vise droit dans le mille pour attirer les ménages préoccupés par le prix du panier l’épicerie.

Tigre Géant n’est pas un épicier, mais il cherche à profiter d’une tendance lourde dans le milieu de l’alimentation : la popularité accrue des produits de marques maison.

Ces marques ont la réputation d’offrir un meilleur rapport qualité-prix. D’ailleurs, leur part de marché croît constamment depuis que l’inflation alimentaire fait les manchettes. Désormais, un produit sur cinq vendu en épicerie affiche une marque privée.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle gamme de produits « de grande qualité » baptisée Marché (en français et en anglais) vient d’être lancée. Tigre Géant promet aux clients « une expérience culinaire incomparable à prix abordables » et « un tout nouveau monde de saveurs ». Rien de moins !

La soixantaine de produits affichés en ligne inclut des pacanes pralinées, des chocolats fourrés au brandy, des boulettes de viande à la suédoise et des tartelettes carrées au beurre et aux raisins. En magasin, il y en a 80, et une quarantaine s’ajouteront en janvier, précise l’entreprise.

La marque Marché n’est pas sans rappeler celle de Walmart appelée Notre Excellence (Our Finest, en anglais) qui propose une sélection plus raffinée que sa marque Great Value.

Cet ajout dans l’offre de Tigre Géant n’est certes pas révolutionnaire, mais il démontre que l’entreprise reconnue pour ses vêtements abordables cherche à accroître l’attrait de son offre alimentaire.

C’est judicieux en cette période où les habitudes d’achat sont chamboulées par l’inflation, où les consommateurs n’hésitent plus à tourner le dos aux supermarchés pour certains produits si cela leur permet d’économiser.

Comme je l’ai écrit en début d’année, parmi toutes les chaînes de magasins qui vendent de la nourriture, Dollarama est celle dont les parts de marché ont bondi le plus, en 2022. Les ventes d’aliments y ont crû d’un énorme 19 % par rapport à l’année précédente, selon NIQ1.⁠

En attirant les consommateurs avec des sacs de cinq avocats à 3,88 $, Tigre Géant espère évidemment leur vendre d’autres produits dont la marge bénéficiaire est significativement plus élevée, comme les vêtements. Les pharmacies et Walmart utilisent la même stratégie.

Tigre Géant imite aussi Maxi en égalisant le prix de ses concurrents, ce que Walmart a cessé de faire. Et comme les grandes chaînes de supermarchés, il offre des rabais supplémentaires et exclusifs aux membres de son programme de fidélisation VIP TG. Cette semaine, par exemple, ceux-ci paient les oignons (2 lb) 1,47 $ plutôt que 2,47 $.

Cette stratégie marketing, que Maxi, Metro et IGA utilisent de plus en plus, est loin de faire l’unanimité. Certaines personnes qui ne veulent pas fournir leurs données personnelles aux détaillants ou qui ne sont pas à l’aise avec les technologies dénoncent le fait que leur panier leur coûte, en conséquence, plus cher. On peut aussi voir la situation à l’envers. Ceux qui acceptent de se créer un compte en ligne et de refiler leurs précieuses données aux commerçants obtiennent des rabais en échange.

Les rabais consentis à l’achat de plusieurs articles similaires suscitent le même genre de controverse. Des consommateurs y voient de la discrimination envers les personnes seules qui n’achètent pas deux pains d’un coup. Certains croient même que cela devrait être illégal. Mais n’est-il pas logique que les meilleurs clients d’une entreprise soient récompensés avec des rabais-volume ? Quoi qu’il en soit, les supermarchés semblent avoir entendu les critiques, car les rabais lors d’achats multiples sont rares ces temps-ci.

On attend toujours, par ailleurs, l’annonce d’une première initiative inédite de la part d’un grand épicier pour stabiliser le prix des aliments, comme l’a réclamé Ottawa le mois dernier. En attendant, des commerces qui n’avaient pas été convoqués sur la Colline parlementaire pour discuter d’inflation, comme Tigre Géant et Dollarama, continuent de gagner la faveur des consommateurs.

1. Consultez un texte sur les prix de Dollarama comparés à ceux de Loblaws (en anglais) Lisez la chronique « Payer moins… avec l’odeur du plastique », de Sylvain Charlebois Lisez la chronique « Nos infidélités profitent à Dollarama », de Marie-Eve Fournier