Ceux qui rêvent d’acquérir une première propriété à Montréal ou dans une autre grande ville canadienne ont raison d’être découragés. Avec l’explosion des prix, le temps nécessaire pour accumuler la mise de fonds n’a jamais été aussi long. Ça se compte parfois en décennies.

À Toronto, un couple dont les revenus sont dans la médiane doit en mettre 10 % de côté pendant 30 ans et 3 mois pour devenir propriétaire d’une maison standard à 1,3 million, calcule la Banque Nationale. Ses enfants ont le temps de devenir eux-mêmes parents avant la signature de l’hypothèque, ma foi !

Montréal ne joue pas dans la même ligue.

En économisant 10 % de ses revenus bruts, un ménage peut espérer partir à la recherche de sa maison après « seulement » 4 ans et 3 mois.

Mais pour ceux qui s’astreignent à cette discipline, c’est quand même interminable.

Vu d’ici, il est presque surréaliste que des jeunes réussissent à devenir propriétaires à Toronto. Et je ne vous parle pas de Vancouver, où la maison moyenne coûte 1,67 million. Son achat suppose (avec la mise de fonds minimale) des paiements hypothécaires de 7453 $ par mois, soit 101,5 % du revenu médian de 88 000 $ et des poussières. C’est insensé.

Mais revenons dans la Ville Reine où j’ai demandé à un courtier immobilier et à un courtier hypothécaire de me raconter comment leur clientèle accède à la propriété. Ont-ils développé des trucs qui nous échappent ?

D’entrée de jeu, le courtier hypothécaire Ron Butler, fondateur de Butler Mortgage, mentionne que ses clients reçoivent souvent « de très gros cadeaux de leurs parents » pour la mise de fonds. « Ces parents peuvent se permettre d’offrir de l’argent, car la valeur de leur maison a grimpé drastiquement. »

L’automne dernier, la CIBC révélait que 30 % des premiers acheteurs utilisent un don et que celui-ci s’élève en moyenne à 82 000 $, au pays.

Le deuxième phénomène, moins connu, est celui des hypothèques à plusieurs noms, dit Ron Butler. « Pour obtenir un plus gros prêt, les couples ajoutent des noms sur le contrat. Ils ajoutent leurs parents, leurs grands-parents, des amis, des frères, des sœurs. En Ontario, le nombre d’hypothèques où figurent plus de deux noms connaît une augmentation significative. C’est passé de 6 % en 2019 à 13 % en 2021. »

PHOTO FOURNIE PAR RON BUTLER

Ron Butler, courtier hypothécaire et fondateur de la firme Butler Mortgage à Toronto

Le courtier immobilier Jared Gardner, associé à RE/MAX, confirme qu’il voit ça « beaucoup ». Il a d’ailleurs déniché une maison pour deux amis qui ne pouvaient emprunter plus de 300 000 $ chacun. Ensemble, ils ont pu mettre la main sur une maison à 600 000 $. Un autre couple qui « voulait entrer dans le marché » a acheté avec un ami puisque c’était sa seule façon d’obtenir le financement requis. « Ils vivent comme des colocs ! Est-ce que c’est facile ? Non. »

Une visite chez un avocat s’impose toutefois avant de se lancer dans une telle aventure, prévient Jared Gardner, car tous les scénarios désagréables que vous pouvez imaginer risquent d’arriver.

Patience et sacrifices

Le courtier Jared Gardner observe aussi des changements dans la liste « des désirs et des besoins » des acheteurs.

Désormais, les Torontois acceptent de se passer de l’immense îlot en granit au centre de la cuisine. Ils acceptent d’acheter des maisons ayant besoin de beaucoup d’amour en se disant qu’ils rénoveront plus tard, quand leurs revenus auront augmenté.

PHOTO ANNA KOBELAK, FOURNIE PAR JARED GARDNER

Jared Gardner, courtier immobilier dans la région de Toronto

Il n’y a pas si longtemps, « tout le monde voulait une immense cour », des salles de bains rénovées et des planchers impeccables, rapporte Jared Gardner. Ce n’est plus le cas. Les attentes en matière d’éloignement du centre-ville et d’espace habitable ont aussi diminué.

Tout le monde fait des sacrifices et doit s’armer de patience pour trouver la perle rare. D’ailleurs, le nombre de premiers acheteurs âgés de 25 à 35 ans est 50 % plus faible en Ontario qu’il y a 20 ans, rapporte Ron Butler.

Le plus difficile pour les premiers acheteurs est de réaliser qu’ils ne pourront pas s’acheter une maison unifamiliale. Car ils veulent le type de maison dans lequel ils ont grandi. Je leur propose de voir avec leurs parents de quoi avait l’air leur première maison. Je vous garantis qu’elle n’était pas détachée !

Jared Gardner, courtier immobilier associé à RE/MAX dans la région de Toronto

Dans les tours du centre-ville, les microcondos sont désormais légion. « La majorité ont moins de 500 pieds carrés. Ça va jusqu’à 370 pieds carrés. La prochaine étape, ce sont les lits au plafond », prédit Ron Butler tout en se désolant que la situation à Toronto soit « un désastre pour les jeunes ». Si les plus vieux sont heureux de savoir que la valeur de leur propriété a explosé, les gains se font « sur le dos des générations d’après », déplore-t-il.

On ne peut quand même pas leur en vouloir…

Ces personnes plus âgées n’ont pas oublié les 20 % d’intérêts payés au début des années 1980. On les comprend. Malgré la récente hausse vertigineuse du prix des propriétés, « en termes [de poids relatif] des paiements, c’était pire à l’époque », confirme le chef économiste adjoint de la Banque Nationale, Matthieu Arseneau.

Aujourd’hui, à Montréal, le ménage moyen qui possède une maison standard doit consacrer 41 % de son revenu brut à son hypothèque. Quand Céline Dion a connu son premier succès, c’était 50 % qui s’en allaient droit à la banque.

Ces paiements exorbitants n’ont pas perduré. Tout comme l’actuelle frénésie immobilière devrait s’apaiser. D’ailleurs, c’est déjà commencé à Toronto. Au Québec, Desjardins s’attend à une baisse de prix de 12 % des propriétés en 2023 par rapport au sommet qui sera bientôt atteint.

Patience !