Un mardi sur deux, des experts en ressources humaines répondent à vos questions. Cette semaine, les conseils d’Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal.

« Est-ce utopique qu’un employé de la génération Z demeure plus de trois ans dans une entreprise ? » Cette question a été posée par un participant lors du Rendez-vous ED x La Presse à HEC Montréal sur la génération Z, le 6 février.

La question paraît cynique, mais plusieurs diront qu’elle reflète assez bien la réalité. Les membres de la génération Z, qui ont de 15 à 28 ans (18 % de la population canadienne en âge de travailler), font d’ailleurs l’objet de beaucoup de discussions ces jours-ci.

Mon travail de formateur et d’intervenant me permet d’avoir des échanges avec plusieurs centaines de gestionnaires et de dirigeants par année, et ce, depuis plus de trois décennies. Chaque génération leur apporte le défi de s’adapter aux valeurs et attentes des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Ce qui est particulier avec la génération Z, c’est que je n’ai pas besoin de mettre le sujet à l’ordre du jour. Il s’impose de lui-même tant il est au centre des préoccupations de ceux que je rencontre.

Ce qui irrite les employeurs

Selon une enquête récente effectuée par la firme ResumeBuilder.com auprès de 1344 gestionnaires et dirigeants, 74 % des répondants croient que la génération Z est plus difficile à gérer que les générations précédentes. Mais que leur reproche-t-on ?

Leur infidélité. Le roulement rapide et fréquent des employés dans la vingtaine est ciblé comme un irritant majeur. De tout temps, on a observé que les jeunes travailleurs explorent le marché du travail en début de carrière. Toutefois, avec la génération Z, cette situation semble aggravée par trois facteurs sur lesquels les employeurs ne peuvent pas vraiment agir : la pénurie de main-d’œuvre, un accès sans précédent aux emplois disponibles sur les sites spécialisés et la présence d’influenceurs sur les réseaux sociaux qui ne cessent de présenter leurs conseils sur comment se comporter en entrevue, négocier leur salaire ou développer leur carrière avec succès.

Des attentes irréalistes. Cela se manifeste surtout dans leur désir de progresser rapidement au sein de l’organisation, même après une courte expérience dans un poste. Avoir de l’ambition, c’est bien, mais les employeurs savent que vouloir progresser sans s’appuyer sur des acquis solides sur le plan des apprentissages constitue un risque important de faire dérailler sa carrière.

Un fort besoin de se protéger. Ayant côtoyé leurs parents obsédés par le travail, les Z semblent soucieux de garder un équilibre en se protégeant face aux demandes qu’ils jugent exagérées ou qui empiètent sur leur vie personnelle. Ils rejettent la culture valorisant un engagement inconditionnel à l’entreprise. Peut-on leur en vouloir ?

Une anxiété de performance. Selon les employeurs, les Z éprouvent une certaine difficulté à composer avec la pression et la critique. Dans les sondages, ils ressortent comme les moins heureux et les moins satisfaits dans leur travail par comparaison avec les autres générations. Heureusement, ils n’ont aucune hésitation à faire part de leurs états d’âme à leur employeur. Toutefois, cela déstabilise nombre de gestionnaires peu habitués à une telle ouverture émotionnelle.

Trois pistes pour engager et fidéliser les Z

Valoriser la différence qu’ils apportent. Comme les jeunes de 20 ans avant eux, les Z ont comme aspiration de changer le monde, et c’est tant mieux. Ils recherchent un emploi leur permettant de contribuer de façon positive à la société. Ils veulent également s’associer à un employeur qui incarne leurs valeurs ; donc qui est responsable socialement (équité, diversité et inclusion) et a une conscience environnementale. Pour susciter leur engagement, il faut donc déterminer et valoriser ce qu’ils apportent en lien avec la mission de l’organisation.

Être sensible à leurs attentes. Les sondages récents montrent que les Z ciblent l’insécurité financière comme leur principale source de stress. Comme leurs espoirs d’accès à la propriété semblent sérieusement compromis, ce qu’ils vivent comme une grande injustice intergénérationnelle, les Z deviennent très sensibles aux questions salariales. Également, l’accès à des occasions d’apprentissage et de formation pour faciliter leur progression de carrière est une autre attente à laquelle les employeurs ont intérêt à répondre.

Avoir un patron qui adopte une posture de coach. Les Z recherchent un rapport égalitaire. Fini le patron autoritaire et contrôlant. Même s’ils se perçoivent comme autonomes, ils ont besoin d’être soutenus par un leader disponible, à l’écoute et qui les accompagne comme le ferait un mentor. Les employeurs ont besoin d’assurer un contexte de sécurité psychologique où les Z pourront se faire entendre et ne pas se sentir rejetés par une critique qui se veut pourtant constructive.

Osons leur donner une chance

Les Z ont le potentiel de transformer les milieux de travail. Ils peuvent avoir une force de frappe similaire à celle des baby-boomers qui ont porté la Révolution tranquille dans les années 1970. Comme eux, ils seront amenés à occuper des postes de gestion assez tôt en carrière mais, comme ils le soutiennent, « pas à n’importe quel prix ».

Donnons-leur une chance même si cela vient bousculer les certitudes et les façons de faire. D’autres, avant eux, l’ont fait avec succès.