La filière des batteries sort de terre à l’abri du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). En plus de Northvolt, les usines de General Motors (GM), Ford, Nemaska Lithium, Nouveau Monde Graphite et Lithion Technologies échappent à un examen public indépendant. Des voix réclament une étude sur l’écosystème pour avoir une « vue d’ensemble » de ses impacts.

Seule exception dans le cas de Northvolt : la portion de son mégaprojet de 7 milliards, qui chevauche Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, concernant le recyclage de batteries sera examinée par le BAPE, un organisme impartial du gouvernement québécois. En ce qui a trait aux autres projets phares de la stratégie du gouvernement Legault, qui verront essentiellement le jour dans le parc industriel de Bécancour, ce n’est qu’en cas d’expansion que la procédure du BAPE pourrait s’enclencher, a constaté La Presse.

« Cela signifie que l’on a vraiment besoin d’un cadre qui permettrait d’évaluer les impacts cumulatifs d’une industrie, explique Camille Cloutier, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Ce que cela va changer à notre territoire, notre économie, aux milieux naturels, il faut se pencher là-dessus. »

D’autres projets d’envergure sont attendus dans la filière des batteries. L’automne dernier, le gouvernement Legault affirmait avoir pour 15 milliards d’annonces dans ses cartons. Si tout se déroule comme prévu, la valeur des investissements de la stratégie québécoise pourrait frôler 30 milliards à moyen terme. La Presse a été en mesure de confirmer que GM, Ford, Nemaska Lithium, Nouveau Monde Graphite et Lithion n’étaient pas assujetties au mécanisme du BAPE. Le gouvernement Legault n’a pas voulu confirmer ces informations, même si tout ce mécanisme relève de son contrôle. Au moment où ces lignes étaient écrites, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) n’avait pas répondu aux questions de La Presse.

La fabrication de matériaux de cathodes – le pôle positif d’une batterie lithium-ion – et le raffinage de minéraux critiques s’effectuent par l’entremise de procédés industriels complexes dans lesquels des produits chimiques entrent en ligne de compte. À cela s’ajoute la construction de ces nouveaux complexes, qui peuvent avoir un impact sur la biodiversité de l’environnement où ils sont érigés.

Dans le cas de Northvolt, ce sont des reportages qui ont permis au public d’apprendre que le chantier du complexe de cellules de batteries allait notamment affecter 13 hectares de milieux humides sur ce site de 170 hectares. Cette information aurait été publiquement diffusée d’emblée dans le cas d’un examen public indépendant.

Une entreprise peut proposer un BAPE ou le gouvernement peut l’exiger. Autrement, c’est le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets qui tranche. Ce mécanisme oblige notamment le promoteur à présenter une étude d’impact et prévoit aussi la tenue de consultations publiques. C’est à ce moment que le public et les organismes peuvent intervenir. L’organisme transmet ses recommandations au gouvernement, qui n’est toutefois pas tenu de les suivre.

Sous les plafonds, pour l’instant

Les projets annoncés en grande pompe par le gouvernement Legault depuis deux ans se situent en deçà du seuil d’assujettissement à une évaluation environnementale indépendante.

Par exemple, les usines de matériaux de cathodes annoncées par GM et Ford – des projets respectivement estimés à 600 millions et à 1,2 milliard dont la construction est en marche – tablent sur des seuils de production respectifs de 33 000 tonnes métriques et 45 000 tonnes métriques, des informations qui n’ont pas été confirmées par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Depuis juillet dernier, le plafond a été relevé à 60 000 tonnes par le gouvernement Legault. Cette décision profite à Northvolt, puisque la partie de son projet concernant la production de cathodes table sur une production maximale de 60 000 tonnes métriques.

Détenue à 50 % par l’État québécois, Nemaska Lithium est dans une situation similaire. Son usine d’hydroxyde de lithium – essentiel dans la fabrication des batteries lithium-ion – mise sur une production annuelle de 34 000 tonnes, ce qui est inférieur au seuil déclencheur de 40 000 tonnes métriques fixé par le Règlement pour un projet de « métallurgie extractive ».

Une procédure du BAPE s’inviterait essentiellement dans le cadre d’une phase d’expansion où la production dépasserait les limites du cadre réglementaire en vigueur. GM pourrait presque doubler la cadence sans faire l’objet d’un examen indépendant.

« Un examen du BAPE qui arrive plus tard dans le processus alors que le projet est bien en marche, est-ce qu’il aura autant d’impacts auprès du gouvernement ? se demande MCloutier. La question se pose. Idéalement, le BAPE arrive le plus possible en amont d’un projet. »

Nemaska Lithium et Nouveau Monde Graphite comportent des particularités puisqu’ils tablent chacun sur deux volets : l’extraction minière et la transformation. Ces deux sociétés n’ont pas pu se soustraire à la procédure du BAPE pour le volet minier. Les gisements sont situés à Whabouchi (Nemaska Lithium) et Saint-Michel-des-Saints (Nouveau Monde Graphite).

Même si son usine de production d’hydroxyde n’est pas assujettie à l’examen du BAPE, Nemaska Lithium consacre une section de son site web à une « démarche volontaire d’évaluation environnementale et sociale ». On y retrouve des documents préparés à la demande de l’entreprise sur les impacts du projet d’hydroxyde de lithium sur des thèmes comme la biodiversité.

Vue d’ensemble

Puisque plusieurs chantiers sont bien en marche, le biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alain Branchaud, croit que le temps est venu, pour Québec, d’effectuer une « évaluation environnementale stratégique », un processus qui se pencherait sur la filière des batteries dans son ensemble plutôt qu’au cas par cas.

« On pourrait utiliser ce mécanisme pour se dire “quelle est la meilleure façon de se positionner en ayant le moins d’impacts sur l’environnement et en ayant des retombées socio-économiques”, dit-il. Les projets peuvent continuer, mais il y a peut-être des paramètres qui pourraient changer puisqu’ils se réalisent sur plusieurs années. Cela nous permet d’avoir une vue d’ensemble. »

L’évaluation environnementale stratégique sert à l’évaluation des stratégies, plans et orientations du gouvernement et des organismes publics, tandis que le rôle principal du BAPE est de se pencher sur des projets en particulier. Mardi, le MELCCFP n’avait pas répondu aux questions de La Presse envoyées la veille visant à savoir si Québec s’était penché sur les impacts environnementaux de la filière des batteries dans son ensemble.

En savoir plus
  • 15 milliards
    Valeur totale des projets annoncés jusqu’à présent dans la filière québécoise des batteries
    La presse
    1978
    Année de fondation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement
    gouvernement du Québec