Les véhicules électriques alimentent la demande pour le lithium, mais son extraction n’est pas un gage de profit lorsque les prix sont en chute libre. La filière québécoise vient de recevoir son premier avertissement avec la restructuration qui débute chez Sayona.

Ce qu’il faut savoir

  • Les prix du lithium sont en chute libre depuis un an.
  • Plusieurs producteurs se retrouvent sous pression financièrement.
  • Au Québec, Sayona doit se serrer la ceinture et réévalue le fonctionnement de son projet en Abitibi-Témiscamingue.
  • L’entreprise licencie 15 cadres, dont son chef de la direction.

Moins de six mois après l’expédition d’une première cargaison de concentré de spodumène à partir de son complexe à La Corne, en Abitibi-Témiscamingue, le producteur de lithium se serre déjà la ceinture pour « assurer la viabilité financière » de son projet. Tout sera étudié pour sabrer les dépenses et 15 cadres, dont le chef de la direction Guy Belleau – un vétéran de l’industrie minière au Québec –, ont été licenciés.

Sayona n’est pas la seule à écoper du coup de frein. En Australie – premier producteur mondial de lithium – plusieurs minières ont successivement annoncé des compressions, la mise sur la glace de plans d’expansion et des stratégies de refinancement pour traverser l’actuel cycle baissier. Au Québec, l’extraction fait partie de l’écosystème des batteries que le gouvernement Legault tente de mettre en place.

« Le contexte actuel frappe assez durement les sociétés en phase de production, souligne Michel Jébrak, professeur du département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM. Sayona n’y échappe pas. »

En un an, les prix du spodumène se sont effondrés. La tonne, qui se négocie aux alentours de 975 $ US, valait 7640 $ US en janvier 2023. Ce plongeon est notamment attribuable à ce qui se passe en Chine – marché où l’on retrouve le plus grand nombre de véhicules électriques.

Les livraisons devraient augmenter de 25 % cette année, selon des données compilées par l’agence Bloomberg. Il s’agit d’une croissance, mais elle n’est pas aussi marquée comparativement aux augmentations de 36 % (2023) et 96 % (2022) observées au cours des deux dernières années. Ce ralentissement met une pression sur la demande de minéraux critiques utilisés pour fabriquer des batteries.

« Je trouvais que les prix [du lithium] étaient montés vraiment haut ces dernières années, affirme Éric Lemieux, analyste minier chez EBL Consultants. Je trouvais que cela n’était pas soutenable. Quand cela monte en flèche, plusieurs spéculateurs et entrepreneurs s’intéressent au milieu. J’ose espérer que les bons acteurs vont pouvoir tirer leur épingle du jeu. »

Le spodumène de lithium, qu’est-ce que c’est ?

Une fois extrait, le minerai est traité dans un concentrateur, ce qui permet d’obtenir du spodumène de lithium. Ce concentré peut ensuite être utilisé dans le raffinage afin d’être transformé en carbonate ainsi qu’en hydroxyde, qui sont des intrants dans la fabrication de batteries lithium-ion.

Loin des hypothèses

Au complexe Lithium Amérique du Nord – détenu par Sayona (75 %) et Piedmont Lithium (25 %) –, on est loin du compte en ce qui a trait aux prix. Selon une étude de faisabilité diffusée en avril dernier, les promoteurs tablaient sur un prix moyen de 1352 $ US la tonne pendant la durée de vie de la mine (20 ans). Le manque à gagner est d’environ 30 %.

Sayona affirme que sa restructuration n’affecte pas ses activités quotidiennes à La Corne et qu’elle devrait terminer son « examen opérationnel » d’ici la fin de mars. Elle affirme que ses intentions ne changent pas à l’égard des projets Authier (à 30 kilomètres d’Amos) et Moblan (au nord de Chibougamau), qui ne sont pas en exploitation. M. Jébrak, qui anticipe une remontée des prix, estime que la société risque néanmoins d’être placée devant des choix difficiles.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Michel Jébrak est professeur du département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM.

La question qu’ils pourraient se poser, c’est : “Est-ce qu’on continue sur le gisement de La Corne, qui est tout équipé, ou on se tourne vers nos mines qui sont plus grosses, mais moins développées ?” Normalement, à 1000 $ US la tonne, le spodumène reste rentable, mais ce n’est pas une garantie.

Michel Jébrak, professeur du département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM

Au Québec, l’autre grand projet de la filière du lithium est celui de Nemaska Lithium. Cette entreprise détenue en parts égales par Québec et Arcadium Lithium veut transformer du minerai extrait de la mine de Whabouchi, à environ 300 kilomètres de la Baie-James, pour ensuite produire de l’hydroxyde de lithium – essentiel dans la fabrication des batteries lithium-ion pour véhicules électriques – à Bécancour.

Les prix actuels de la tonne de spodumène sont loin de la moyenne de 2000 $ US la tonne que Nemaska Lithium croit pouvoir obtenir pour son minerai. La société est cependant plus intégrée que Sayona, puisqu’elle approvisionnera sa propre usine de transformation. En entrevue avec La Presse, plus tôt ce mois-ci, Sarah Maryssael, directrice générale pour le Canada et cheffe de la stratégie mondiale d’Arcadium Lithium, reconnaissait que l’industrie se trouvait dans un marché « beaucoup plus difficile » qu’il y a quelques années.

Les deux spécialistes consultés par La Presse anticipent une remontée des prix du lithium. Il reste à savoir quand la tendance actuelle se renversera. M. Jébrak estime que l’on devrait assister à une remontée au cours de l’année. À plus long terme, les perspectives restent encourageantes. L’agence Statista estime que la demande mondiale pour le lithium devrait doubler d’ici 2030.

Pas d’empressement

Entre-temps, Arcadium Lithium, qui est également propriétaire d’un autre gisement dans le secteur de la Baie-James, ne semble pas pressée avec ce projet. Plusieurs permis doivent être obtenus avant un potentiel démarrage de l’extraction. D’importantes sommes – jusqu’à 380 millions – devront être investies, selon les estimations actuelles.

« On doit revoir un peu notre portefeuille de projets parce qu’avec la fusion, nous avons maintenant des projets en Argentine, avait expliqué Mme Maryssael. C’est ce que l’on doit faire avant de prendre une décision. »

Les autres projets québécois qui concernent le lithium ont encore beaucoup d’étapes à franchir avant d’atteindre celles de l’exploitation et de la production.

Jeudi, Patriot Battery Metals, derrière la propriété Corvette de la Baie-James, n’avait pas répondu aux questions de La Presse. En dépit du contexte plus difficile, la société a donné le coup d’envoi, la semaine dernière, à une nouvelle campagne de forage afin « d’améliorer la confiance envers » son « modèle géologique ».

M. Jébrak estime que ces promoteurs ont du temps devant eux pour préparer leurs projets afin d’être prêts lorsque les prix vont remonter. Cependant, ils devront probablement refaire leurs devoirs en ce qui a trait à leurs études de faisabilité.

En savoir plus
  • 189
    Effectif de Sayona à la suite de sa restructuration
    Source : sayona
    6
    Nombre de projets miniers concernant le lithium au Québec
    Source : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts