J’ai lancé mon entreprise au début des années 2000 en n’étant pas issu d’une famille d’entrepreneurs fortunés, avec à peine 1500 $ en poche et au volant d’une vieille voiture rouillée. Grâce à beaucoup d’efforts de mon équipe et moi, Trudel est parmi les entreprises immobilières les plus dynamiques au Québec, ayant plus de 7500 unités multirésidentielles à développer.

Le 22 janvier dernier, l’animateur et ex-maire du Plateau-Mont-Royal Luc Ferrandez a réagi à certaines de mes récentes déclarations publiques sur la crise du logement. Malgré mon intention d’offrir des solutions constructives, il semble que M. Ferrandez jugeait que mon point de vue était simpliste et que j’alimentais un certain cynisme à des fins pécuniaires.

Une position d’inertie inconcevable

De façon démagogique, il a notamment sous-entendu à tort que les projets de mon entreprise n’obtenaient pas une acceptabilité sociale suffisante et que cela expliquait des délais de plus de quatre ans pour une modification réglementaire – un mensonge complet.

Rappelons que le projet de Fleur de Lys bénéficie de l’appui massif de la population et de partenaires communautaires depuis ses débuts et que la modification requise au zonage s’est effectuée sans aucune contestation.

Pour lui, les 12 travaux d’Astérix sont un bon modèle réglementaire. Un changement de zonage peut prendre des années sans l’inquiéter, puisque « c’est comme ça que ça fonctionne au Québec ».

Cette attitude autoritariste peut sembler responsable et rigoureuse, mais son effet dans la vraie vie est critique. Les chiffres les plus récents de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) nous informent d’une baisse de 37 % des mises en chantier à Montréal et de 40 % à Québec pour l’année 2023, alors que les mises en chantier augmentent partout au pays avec les mêmes conditions de marché.

Le modèle qu’il défend nous a amenés dans le mur.

Des fonctionnaires dévoués et menottés

Malgré les propos de Luc Ferrandez, je considère que les fonctionnaires municipaux effectuent un travail de grande qualité et qu’ils sont dévoués au service public. Ces professionnels experts de leur domaine peuvent parfois user de zèle, mais règle générale, nous sommes chanceux de les avoir.

Le problème se situe principalement sur deux plans. En premier lieu, le cadre réglementaire est immensément lourd. Le formulaire A-138 du 16e étage de la tour sud-ouest prend des mois à obtenir, dans un processus opaque au possible. Les dédales administratifs forcés n’en finissent plus et on en ajoute sans cesse de nouveaux sans raison évidente.

En deuxième lieu, c’est la politisation municipale des grands projets de développement. L’intérêt supérieur des citoyens, soit d’obtenir un logement rapidement et à un prix raisonnable, passe bien après les considérations électorales.

D’une réunion à une autre, d’un comité mensuel aux conseils municipaux divisés, le calendrier s’étire sans conséquence pour le pouvoir public. On manque souvent d’orientations politiques et les dossiers vivotent, le temps d’arriver au vote.

Le problème n’est donc pas entre les cubicules grisâtres d’un bureau anonyme, il est devant les kodaks.

L’équation ne « balance » pas

Une analyse bien rapide nous amène à une conclusion obligée.

Est-ce qu’il y a un besoin de logements partout au Québec ? Évidemment.

Est-ce que le Québec compte des promoteurs et des constructeurs compétents ? Oui, parmi les meilleurs au pays.

Est-ce que les institutions financières prêtent l’argent nécessaire au développement ? Ce n’est pas aussi simple qu’avant, mais oui, les capitaux sont disponibles et la SCHL a un rôle important à jouer à ce sujet.

Alors pourquoi vivons-nous la pire crise du logement depuis 1955 ?

Il est où, le leadership politique, il est où ?

La crise du logement est donc une création purement politique. Évidemment, je ne pense pas que les politiciens se lèvent le matin pour ralentir les projets immobiliers et qu’ils souhaitent voir leurs concitoyens dormir dans une boîte de carton sous le pont Champlain.

Les élus municipaux modifient simplement les règlements de zonage au gré de leur humeur électoraliste, ce qui a une incidence importante sur le rythme des projets de développement immobilier, surtout dans les zones urbaines vouées à être densifiées.

Les dossiers de logement peuvent « virer de bord » sans préavis, au gré des sondages ou de la plus récente mobilisation sur Facebook. On se lance dans des processus de consultation incomplets, alambiqués et sans objectif clair simplement pour cocher une case dans l’ordre du jour idéologique.

À 12 mois ou moins d’une élection, toutes les modifications réglementaires les moindrement controversées ou complexes sont mises sur la glace. Suivant le vox populi, on doit compter une autre demi-année au moins pour laisser l’équipe gagnante apprendre son métier.

Bref, c’est à l’hôtel de ville que ça grince.

Les solutions, on les connaît depuis longtemps

Alors, comment faire pour sortir de la crise du logement et bâtir les centaines de milliers d’unités manquantes ?

Il faut déclarer la situation comme un état d’urgence national et prendre les grands moyens pour s’en sortir. Tout comme je l’ai fait en mission comme policier en Haïti lors d’une crise totalement différente, je crois que le Québec doit se retrousser les manches et agir de façon draconienne pour se sortir de son marasme.

Finissons-en avec la suprématie des agendas chargés, la priorité numéro un, c’est d’accélérer le processus. On n’attendra pas la réunion statutaire du mois prochain pour trancher, c’est demain que ça presse.

En toute honnêteté, nous sentons à Québec un vent de changement à l’hôtel de ville à ce sujet. Le maire Bruno Marchand et son équipe semblent sincères dans leur volonté d’améliorer les choses. Cette nouvelle disponibilité est sans doute liée à la mise sur pause du projet de transport collectif.

Arrêtons aussi de taxer l’habitation. Le poids fiscal sur le logement est souvent invisible pour les locataires, mais il est bien réel. Autocotisation, taxe de parc, « taxe de Bienvenue », taxes de secteur, les façons de récolter des taxes sont toujours plus créatives.

Mon équipe a fait le calcul dans le cas d’un bâtiment multirésidentiel neuf. Si on ramène le coût de toutes les taxes visant le développement immobilier à un prix mensuel, ce sont près de 500 $ qui doivent être facturés dans le loyer avant même d’avoir posé la première brique.

Il est aussi grand temps que le gouvernement fédéral crée un mécanisme d’emprunt allégé et incitatif pour les projets multirésidentiels. Nous comprenons tous que le taux directeur à 5 % va ralentir l’inflation, mais pendant ce temps, les projets ne lèvent pas.

Ensemble, on va s’en sortir, mais pas sans faire éclater le statu quo des 12 travaux de l’ex-maire Ferrandez.